Chapitre 4

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Mon père et moi sommes assis dans le camion des Vigiles. Nous nous tenons tout près l'un de l'autre. Ma plaie au genou est impressionante. La coupure et profonde et la douleur est insoutenable. Je le regarde et une larme coule sur ma joue. Il me chuchote

"Je t'aime. Ne l'oublie jamais"

J'ai à peine assez de force pour hocher la tête. Qu'est-ce qui va se passer? Je connais la réponse. Nous allons aller travailler dans les Contrées du Grand Nord. Pour toujours. Comment est-ce arrivé? Ca s'est passé tellement vite. En quelques minutes ma vie a basculé. J'ai perdu tous mes repères. Je n'ai plus rien. Ma vie était loin d'être parfaite, mais je sais qu'elle va me manquer. Et ma famille; ma mère et ma soeur, ma soeur que je venais de retrouver, à qui j'avais promis. Je ne peux pas penser à autre chose. Je ferme les yeux et la seule image qui reste imprimée sur ma rétine est celle de Rosie en train de crier pour qu'on revienne, en larmes. Je l'ai trahie. Je m'en veux.

Nous pourrions parler, les Vigiles sont dans la partie avant du camion, tandis que nous nous sommes dans la partie arrière, mais les mots ne sortent pas. De toute façon qu'est-ce que je pourrais lui dire? Qu'en me sacrifiant pour lui j'ai gâché ma vie? Je suis perdue. Triste. En colère. En face de moi Susan sanglote, les mains sur le visage. Elle aussi a tout perdu, sa fille de quatorze ans, Katty, qui ne l'a même pas vu partir, son fils de trois ans et son mari. Comment va réagir Katty quand elle saura pour Susan? Elle n'aura même pas pu lui dire en revoir. Pour elle, cette journée était une journée normale, paisible. Elle a du aller avec ses amies au Chapiteau comme elle le fait chaque samedi après ses devoirs; mais quand elle va rentrer chez elle, son coeur va se briser. Je la connais un peu. Elle est très proche de sa mère. Elle était très proche de sa mère. Je m'endors dans le camion avec cette pensée en tête: pour ma soeur et ma mère, mon père et moi sommes comme morts.

*

* *

Une secousse brutale me réveille. Je suis toujours assise dans le camion. Mon père fixe le vide en face de lui, les mâchoires sérrées. Je jette un coup d'oeuil à mon genou, le sang a séché et j'ai un peu moins mal.Un Vigile ouvre la porte et s'empare de Susan par ses menottes, la traînant pour qu'elle se lève. Un autre s'approche de nous et me tire par les cheveux pour que je me mette debout. Je hurle de douleur. Il me donne alors une gifle et attrape mon père par le bras, qui se lève comme un zombie. Il nous entraîne hors du camion. Le premier Vigile est en train d'ouvrir la porte d'une espèce d'hangar. Celui qui nous tient nous fait entrer. Une centaine de personnes se tiennent assises dans cette pièce. La puanteur de cet endroit s'empare de moi. Je ne peux plus marcher. Je suis paralysée. Toutes ces personnes sont là depuis plusieurs jours à en juger par l'odeur. Des femmes, des hommes et des enfants; la plupart innocents. Je balade mon regard d'un bout à l'autre de la pièce; je ne vois que désolation, tristesse et fatigue. Les Vigiles nous désigne un coin de la pièce vide et nous nous asseyons mon père, Susan et moi, collés.

Un Vigile tape dans ces mains et dit fermement:

"Nous partirons demain, à l'aube."

Tout le monde se regarde, affolé. Personne ne veut partir mais nous n'auront pas le choix. Je le sais. Je regarde les différents visages; aucun ne m'est familier. Un homme seul. Un couple de personnes agées. Une femme et ses deux enfants; les yeux rouges à force d'avoir pleurer. Son garçon le plus petit est blond mais ses cheveux sont tellement sales qu'on pourrait presque croire qu'il est brun. Il s'accroche à un bout de tissu, surement son doudou, comme si s'était la septième merveille du monde. Il a les yeux perdus dans le vague et est allongé sur les genoux de sa mère. Il doit avoir trois ou quatre ans. Le deuxième est un peu plus vieux, il doit avoir six ou sept ans. Lui, est brun et très maigre, il a le visage impassible. Je détourne le regard. Je dois essayer de me reposer, car demain sera une journée difficile. Je suis très mal installée, le sol est dur et je suis tellement serrée entre Susan et mon père que je ne peux même pas poser mon dos contre le mur.

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⏰ Dernière mise à jour : Jul 03, 2015 ⏰

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