Difficile d'évaluer l'influence réelle de Kōji Wakamatsu sur le cinéma japonais. Peu connu du grand public, ce cinéaste guérillero, libre et anarchiste, pourfendeur de tous les chemins balisés, a indiqué la voie à nombre de ses successeurs. Avant d'être cinéaste, Wakamatsu est voyou, ancien taulard, yakuza, militant politique côtoyant aussi bien des milieux d'extrême-droite ultranationalistes que des organisations d'extrême-gauche aussi tristement célèbres que l'Armée Rouge Unifiée. Il se lance dans le cinéma en 1963, et plus particulièrement dans le genre du pinkueiga, c'est à dire, au risque de faire des raccourcis malheureux, du porno soft. Les directives des producteurs sont très simples : une équipe minuscule, des moyens dérisoires, des contraintes de temps absurdes, un maximum d'érotisme et de scènes de nu (dans la mesure de ce qui était alors autorisé par la loi, interdisant par exemple la représentation d'organes génitaux ou de relations sexuelles trop explicites), et une liberté totale quant au reste. Le pinku eiga s'accommode très bien de la violence, et se fiche de la politique ; Wakamatsu saura en tirer parti.
Sa filmographie est émaillée de titres suggestifs et poétiques, tels que Quand L'embryon part braconner (1966), La Saison de la Terreur (1969), Va, va, vierge pour la deuxième fois (1969), Éternel Eros (1977), ou Le Soldat dieu (2010). Sa recette est simple : quelques amis à la technique, quelques autres devant la caméra, quelques décors simples (une rue, un appartement, un toit, un terrain vague), quelques visions timides de seins et de corps nus, de la violence parfois, et une atmosphère lourde, mélancolique et nihiliste, un propos désabusé constamment rappelé au contexte politique national, aux bouleversements des années 1960-1970, à l'occupation américaine, à la violence policière, au terrorisme d'extrême-gauche, à la misère sexuelle galopante, et l'explosion d'une génération qui deviendra celle des hikikomori et des fameux « hommes herbivores ». Ses personnages sont des êtres frustrés, revenus de tout, dépourvus de la moindre idéologie, ne cherchant rien d'autre qu'un peu d'excitation pour rompre leur ennui, et qui s'engouffrent finalement dans une forme de violence apathique et suicidaire.
Bien vite, Wakamatsu s'écartera des studios pour monter sa propre boite de production, et acquérir un peu plus de liberté. Il imposera un nouveau modèle de production, complètement fauché mais complètement dépourvu de contrainte, faisant certes la part belle au sexe et à la violence, mais aussi à la politique, et plus encore à la beauté photographique, à la suspension poétique et à l'expérimentation formelle. Il n'est pas tout seul, bien sûr. Toute la Nouvelle Vague Japonaise émerge à la même époque, avec autant de cinéastes radicaux, engagés, enragés. Mais lui reste probablement le plus enragé de tous. Pour toute une génération, il devient le contrepoint archétypal des Naruse, Mizoguchi, Ozu ou Kurosawa. Son influence se voit déjà, rapidement, sur ses propres contemporains, tels que Nagisa Ōshima, Kiju Yoshida ou Teruo Ishii, mais c'est dans les milieux undergrounds des années 1990-2000 qu'il sera le plus cité, notamment par de jeunes auteurs ayant poussés tous les curseurs du maître (violence, érotisme, huis-clos, absence de budget, sous-texte socio-politique) dans les extrêmes, tels que Hisayasu Satô, Katsuya Matsumura, Daisuke Yamanouchi ou Tamakishi Anaru.
Le 14 juillet 1966, aux États-Unis, Richard Speck s'introduit dans un immeuble de Chicago et assassine huit étudiantes infirmières. Ils era arrêté par la police, jugé et condamné, après deux procès, à quatre siècles de prison. L'affaire émeut le monde entier. Wakamatsu y voit un écho, et presque une explication, aux multiples faits divers impliquant coups de folie et furies meurtrières qui émaillent alors le quotidien des japonais. Les bourreaux sont presque tous jeunes, reclus, traînant derrière eux de grosses difficultés sociales, notamment en ce qui concerne le rapport à la gente féminine. Wakamatsu voit dans cette nouvelle génération de tueurs les opposés presque exactes de sa propre génération qui, certes, se complaisait dans la violence, mais au nom d'idéaux...idéaux auxquels chacun, Wakamatsu le premier, a cessé de croire. Un nouveau type de criminel émerge, un être solitaire, blasé, nihiliste, qui ne vit qu'au travers de sa propre frustration, sans aucune considération pour la collectivité. Le cinéaste ne cessera d'explorer cette vision de la « bombe à retardement », tueur suicidaire par excellence, qui dissimule parfois ses actions derrière un mince voile idéologique. Mais jamais il n'abordera aussi frontalement cette thématique que l'année suivant le drame, 1967, avec Les Anges Violés.
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Les Anges Violés
Non-FictionCommentaire du film Les Anges Violés de Koji Wakamatsu (Japon, 1967).