Chapitre 11

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Lubin avait installé Mahaut dans un cabanon. Ils se trouvaient dans la prairie qui bordait le village. 

Comme Soledad était formé en cuve, le village en son centre, depuis la prairie, près des pâturages, ils avaient une vue imprenable sur l'agitation qui y régnait. Comme Lubin et Mahaut restaient silencieux, Jehane fit de même. 

Elle détailla Soledad, essayant d'en déterminer une carte. Deux collines surplombaient le hameau, s'y trouvaient des tours de guet. On pouvait sûrement y voir à des kilomètres à la ronde. Parfait pour retrouver des gens perdus, surveiller les troupeaux ou observer le paysage, pensait-elle. 

Les pentes formaient des pâturages, des bovins y broutaient. Sur la partie la plus plate des massifs, se tenait une prairie. Quand elle dirigeait son regard droit devant elle, elle pouvait voir un autre cabanon, identique à celui dans le quel ils se trouvaient. Le même toit de chaume, les mêmes murs de vieilles pierres. La même absence de porte.

Se dressait ensuite une longue plaine. Elle était entourée d'une muraille. Sur une extrémité se tenait la maison longue du Chef, la plus près de la prairie où elle et ses deux compagnons se trouvaient.

En face, elle pouvait en apercevoir une identique. Entre les deux collines, elle put repérer la forêt par laquelle elle était arrivée. La muraille était percée à sa fin, pour permettre le passage. En face, à la droite de Jehane, il y avait la mer.  Au cœur du bourg, des chaumières s'étalaient de toutes parts. Une dizaine étaient alignées à celle du Chef. Les autres tournaient autour de la place centrale du village. 

Sur cette grande place pavée au centre du hameau, justement, se trouvait un grand foyer. À cet instant il flambait. Une grande flamme montait de plus en plus à mesure que deux jeunes femmes jetaient des bûches dans la braise.

— Mahaut s'est endormie, soupira Lubin en caressant du bout des doigts le sommet du crâne de l'enfant.

— Vous avez l'air d'aimer éperdument votre petite sœur, Sieur Lubin, sourit Jehane.

— Quoi ? Cette chose colérique ? Comment oses-tu ? fit-il mine de s'offusquer. Je t'en prie arrête de me vouvoyer !

— J'ai un petit frère moi aussi, dit Jehane pensive.

— Tu comprends ma douloureuse vie alors, rit Lubin.

— Oui et non. Il n'est plus si proche de moi ces dernières années.

— Pourquoi donc ?

— Père le forme pour qu'il devienne...

Jehane ravala le mot "Roi" de justesse.

— ...un bon guerrier, un bon membre du Conseil, enfin, je suppose que tu vois !

— Non, pas tant que cela.

— Ah oui ? Mais pourquoi ?

— Ma mère est décédée alors que j'étais très jeune. Mon père a lentement commencé à sombrer dans la folie. Le Sage fou tiens donc, soupira Lubin.

Jehane sourit.

— Je suis vite devenu comme le père de Mahaut. Elle méritait d'avoir un vrai père.

— C'est vraiment dévoué de ta part.

— Ma mère, Béatrice s'appelait-elle, a toujours été le pilier de notre famille. Sans elle, nous nous sommes écroulés.

— Je comprends, ma mère est une figure importante de notre vie.

— Il y a de cela trois ans, j'ai épousé Constance. Tu as rencontré Azenor il me semble ?

— Oui, absolument, confirma Jehane.

— C'est la cousine de Constance. Elles sont inséparables. C'est ainsi que Flavien est entré dans nos vies.

— L'époux d'Azenor ?

— Oui, exactement. A nous quatre, nous avons essayé d'élever au mieux Mahaut.

— A vous quatre ?

— Plutôt tout le village à dire vrai ! C'est une chasseuse, une cavalière, elle tire à l'arc, elle sait pêcher. Elle a de bonnes manières, enfin...à sa façon. Elle est intégrée dans la famille du Chef comme si elle était la fille d'Isabeau. Je pense que j'ai fait ma part, sourit Lubin.

— Ton sacrifice n'a pas été vain, sourit Jehane.

— Je ne me suis pas sacrifié. Elle a changé ma vie.

— Vous êtes une belle famille sans pourtant en être une vraie, c'est paradoxal, fit remarquer Jehane.

— Nous sommes une vraie famille, soutint Lubin.

— Elle n'a pas de mère de sang. Son père la délaisse. Elle n'a aucun lien de parenté bien que d'alliance avec la famille de ton épouse. Et puis, elle a été élevée par le village, insista Jehane. C'est ta sœur et en même temps, tu tiens le rôle de son père. Admets que c'est particulier.

— Une vraie famille, Aglaé, ce ne sont pas les liens du sang et la norme d'un ménage. Une vraie famille ce sont les gens qui s'aiment, qui pourraient se sacrifier les uns pour les autres, sourit Lubin. Des gens qui te rattraperont quelque soit ta chute. Des gens sur lesquels tu peux compter qu'il s'agisse d'être vingt pour que jamais tu ne sentes qu'il te manque une mère ou qu'il s'agisse d'élever ton enfant que par ta mort tu as été forcé d'abandonner. Qu'il s'agisse de t'apporter à souper quand tu es cloué au lit, de poursuivre ta monture à travers la forêt. D'aller faire des centaines de kilomètres à cheval pour retrouver ce marchand qui a emporté par erreur la monture de ton père.

Son regard était perdu dans le vague. Même si ses exemples étaient à proprement parler étranges, Jehane comprenait où il voulait en venir.

— Si tu as ces gens-là, alors tu as une famille, conclut Lubin.


Umbria, le Royaume de l'OmbreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant