Le livre

16 0 0
                                    

VÉRONIQUE. Alors on ne sait pas. On est réservé sur le pronostic. Apparemment le nerf n'est pas complètement exposé.

MICHEL. Il n'y a qu'un point qui est exposé.

VÉRONIQUE. Oui. Il y a une partie qui est exposée et une partie qui est encore protégée. Par conséquent, pour le moment, on ne dévitalise
pas.

MICHEL. On essaie de donner une chance à la dent.

VÉRONIQUE. Ce serait quand même mieux d'éviter l'obturation canalaire.

ANNETTE. Oui...

VÉRONIQUE. Donc il y a une période de suivi où on donne une chance au nerf pour récupérer.

MICHEL. En attendant, il va avoir des facettes en céramique.

VÉRONIQUE. De toute façon, on ne peut pas mettre de prothèse avant dix-huit ans.

MICHEL. Non.

VÉRONIQUE. Les prothèses définitives ne sont mises en place que lorsque la croissance est terminée.

ANNETTE. Bien sûr. J'espère que... J'espère que tout se passera bien.

VÉRONIQUE. Espérons.
Léger flottement.

ANNETTE. Elles sont ravissantes ces tulipes.

VÉRONIQUE. C'est le petit fleuriste du marché Mouton-Duvernet. Vous voyez, celui qui est tout en haut.

ANNETTE. Ah oui.

VÉRONIQUE. Elles arrivent tous les matins directement de Hollande, dix euros la brassée de cinquante.

ANNETTE. Ah bon !

VÉRONIQUE. Vous voyez, celui qui est tout en haut.

ANNETTE. Oui, oui.

VÉRONIQUE. Vous savez qu'il ne voulait pas dénoncer Ferdinand.

MICHEL. Non il ne voulait pas.

VÉRONIQUE. C'était impressionnant de voir cet enfant qui n'avait plus de visage, plus de dents et qui refusait de parler.

ANNETTE. J'imagine.

MICHEL. Il ne voulait pas le dénoncer aussi par crainte de passer pour un rapporteur devant ses camarades, il faut être honnête Véronique, il n'y
avait pas que de la bravoure.

VÉRONIQUE. Certes, mais la bravoure c'est aussi un esprit collectif.

ANNETTE. Naturellement... Et comment... ? Enfin je veux dire comment avez-vous obtenu le nom de Ferdinand ?...

VÉRONIQUE. Parce que nous avons expliqué à Bruno qu'il ne rendait pas service à cet enfant en le protégeant.

MICHEL. Nous lui avons dit si cet enfant pense qu'il peut continuer à taper sans être inquiété, pourquoi veux-tu qu'il s'arrête ?

VÉRONIQUE. Nous lui avons dit si nous étions les parents de ce garçon, nous voudrions absolument être informés.

ANNETTE. Bien sûr.

ALAIN. Oui... (son portable vibre). Excusez-moi... (il s'écarte du groupe ; pendant qu'il parle, il sort un quotidien de sa poche)... Oui Maurice, merci de me rappeler. Bon, dans Les Echos de ce matin, je vous le lis... : « Selon une étude publiée dans la revue britannique Lancet et reprise hier dans le F.T., deux chercheurs australiens auraient mis au jour les effets neurologiques de l'Antril, antihypertenseur des laboratoires Verenz-Pharma, allant de la baisse d'audition à l'ataxie. »... Mais qui fait la veille média chez vous ?... Oui c'est très emmerdant... Non, mais moi ce qui m'emmerde c'est l'A.G.O., vous avez une Assemblée générale dans quinze jours. Vous avez provisionné ce litige ?... OK... Et, Maurice, Maurice, demandez au dircom s'il y a d'autres reprises... A tout de suite.
(Il raccroche.)... Excusez-moi.

Le dieu du carnage - Yasmina RezaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant