L'immortel

L'homme s'éveilla. Une fois encore, il se trouvait sur une table d'autopsie. Prudemment il vérifia qu'il était seul, il s'agissait de ne pas effrayer un employé de la morgue par sa nouvelle résurrection. Il prit des vêtements et une blouse, il se vêtit puis s'engagea dans les couloirs du bâtiment. L'endroit était vide seul le garde de nuit semblait présent, il se contenta d'un " bonne nuit Docteur " avant de reprendre la lecture de son journal. Une fois arrivé devant chez lui l'homme contourna le bandeau laissé par la police et rentra dans son appartement, il prit une douche, se changea et récupéra quelques affaires, tout en essayant de ne pas faire attention au tracé de son dernier assassinat dans le salon. Contour du corps á la craie et trace de sang. Il brûla ses papiers d'identité: Richard Troyes n'existait plus. Il s'était toujours interdit de faire revivre un de ses personnages décédés ou encore de jouer les anges vengeurs. Tout juste parfois laissait-il assez d'indices á la police pour arrêter le coupable. Il fit un somme. Au matin il quitta son logement pour se rendre á son nouveau domicile. Il avait pris l'habitude de toujours avoir une solution de repli, l'arrivée de la technologie ne lui rendait pas facile les changements d'identités. Arrivé à bon port il ouvrit une enveloppe et prit ses nouveaux papiers. Il serait Samuel L Clemens, journaliste. Cela lui laisserait le loisir de lire l'évolution de l'enquête de son identité précédente. Sa première tâche était de se trouver un nouvel emploi, heureusement il avait passé une partie de son ancienne existence á écrire des articles qu'il signait du nom de Clemens. Sa vie reprit son cours, puis il commença à préparer celle de secours. Créer une fausse identité, verser de l'argent sur un compte à son futur nom, payer un loyer et donner une existence à son prochain lui. Il apprit que son meurtrier avait été arrêté et condamné. Le lieutenant Laurence Tobias avait mené l'enquête avec l'aide des indices qu'il avait mis post mortem. Il pensait être tranquille quand un matin on sonna à la porte.

Deux policiers se tenaient là, une inspectrice rousse aux yeux bleus avec des boucles d'oreilles en forme de triskèle et un grand policier blond en uniforme. Il ouvrit, surpris d'une telle visite.

— Bonjour je suis l'inspectrice Aurore Dupin, pouvons-nous entrer ?

— bien sûr

Samuel les laissa entrer

— Monsieur Clemens votre nom est apparu dans deux de nos enquêtes

— Que puis-je pour vous ? Demanda l'homme calmement

— votre nom a été cité dans une enquête chez un fabricant de faux papiers. Prendre le véritable nom de Mark Twain pour un journaliste il fallait oser.

— Ironique pour une inspectrice qui porte le véritable nom de Georges Sand. J'ai déposé une plainte pour usurpation d'identité il y a peu. Les papiers devaient être destinés á mon voleur

— Possible mais il reste que selon une dame qui vous a filmé avec son téléphone vous auriez pénétré par effraction sur une scène de crime dont d'après les photos vous seriez en plus la victime. Un certain Richard Troyes.

— Sérieusement Lieutenant un mort qui marche. Je dirai un sosie, qui en plus s'est fait des faux papiers pour me nuire. Je travaille sur des cas judiciaires. Mes ennemis ne doivent pas manquer. De plus rentrer chez soi ce n'est pas une effraction.

— Pourriez-vous venir faire une déposition ?

— Je passerai demain dans la matinée.

— Très bien, nous allons vous laisser.

L'inspectrice partit avec son collègue qui n'avait pas dit un mot se contentant de tout noter sur un calepin. Samuel réfléchit. Premièrement il y avait cette femme qui l'avait visiblement suivi et qui allait sans nul doute lui mettre des bâtons dans les roues et cette inspectrice qui pouvait remonter la trace de ses quatre dernières identités. La cinquième sera pour elle une révélation troublante quand elle trouvera une photo de lui comme concierge d'hôtel à Londres en 1920. Il se dit que Rome était une bien jolie ville et que la dernière fois qu'il y avait vécu, Cola di Rienzo dirigeait la ville et il logeait chez Pétrarque. Il allait devoir se trouver une identité dans la ville sainte. Tout en gardant un œil sur cette femme dont il supposait la véritable nature. Sa mère l'avait, une nouvelle fois, retrouvé. Il tomba sur un article indiquant que des membres de l'ordre de sainte Lucia avaient arrêté un individu déclarant revenir des croisades et vouloir une audience avec le pape. La photo de l'individu manchot lui rappelait vaguement quelques choses, mais ses souvenirs restaient confus. Il faut dire qu'en 1500 ans d'existence il en avait beaucoup. Il lut le reste de l'article et tomba sur la mention du capitaine Ardaluïn du saint ordre du Dragon. Il avait déjà croisé ces hommes. Un ordre de chevalerie chargé des basses besognes pendant l'invasion des turcomans. Il se renseigna sur les deux ordres. Celui des dragons avait été dissous après la dernière croisade en 1295 après la prise de St jean d'Acre par les mamelouks, quelques années plus tôt. L'ordre de Sainte Lucia était par contre toujours actuel. En une petite semaine et quelques modifications de documents il pourra l'intégrer comme détective. Ce ne sera pas la première fois qu'il travaillera pour le pape. Après tout, son père avait voulu l'évangélisation de son royaume. Sa mère par contre était restée fidèle aux anciens cultes.