Contexte : Concours Effervescence de la Sorbonne 2024
Thème imposé : la Foule
静けさ
L'enterrement de ma grand-mère eut lieu peu de temps après son anniversaire. Elle venait d'avoir quatre-vingt-dix ans ; Deux semaines plus tard, au milieu du mois de novembre, l'église résonna dans notre petite ville perchée au-dessus de la Loire. Marie-Louise avait passé l'entièreté de sa vie ici pour finalement rejoindre, dans le caveau familial, l'homme qu'elle avait chéri de bien longues années.
Combien de fois mon grand-père, Michel, m'avait-il raconté leur rencontre ? Je ne saurais le dire, bien trop de fois. De lui, à l'armée, obligé de changer de bistrot car le plus populaire de la ville était plein à craquer, s'aventurant jusqu'au Celtique, non loin du pont. Il entre et il la voit au comptoir, en train de servir des verres. Dès lors, il n'y a plus qu'elle, son monde s'arrête de tourner. Il entre, elle le voit et son monde ne sera plus jamais le même.
Après sa mort, le temps passa. Elle était restée longtemps après lui mais aujourd'hui, elle retournait parmi les milliers d'âmes rejoindre celle qui l'avait complétée par hasard, un jour d'après-guerre.
Autour de moi, ils étaient si nombreux. L'avantage d'avoir une famille aussi dense, j'imagine, pour se soutenir, pleurer sur les épaules des uns, des autres. Pour parler de ce qu'on ressentait, éventuellement. Il y avait tant de bruits, de chuchotements, que ce soit sur les bancs de bois ou dans les allées du cimetière. Pourquoi étaient-ils si bruyants ? Les chuchotements et les larmes discrètes semblaient devenir des torrents de murmures insupportables.
Peut-être que le décalage horaire me rendait irritable ; Peut-être que j'étais simplement triste d'avoir perdu une personne aussi importante dans ma vie. De mon enfance. Je m'en voulais de ne pas avoir entendu sa voix une dernière fois, dans le combiné grésillant du smartphone, à l'autre bout du monde.
Les cris de la dizaine d'arrière-petit enfants s'amusant dans le jardin, tout autour du bassin, m'arracha au vide que je fixais depuis trop de minutes. Face au fond du placard, désormais vide, dont il ne restait que le papier peint datant des années 1970. Les fleurs, larges et orange, me piquaient presque les yeux.
- Pousse-toi, tu gênes.
C'était juste un coup d'épaule, de mon frère. Il n'y avait pas de délicatesse, c'était certain. Lui, mon père, et mes oncles me bousculèrent sans ménagement, tandis qu'ils faisaient crisser les pieds des fauteuils en bois sombre sur le carrelage. Ça gueulait, ça pestait dans l'escalier. De la cuisine, à quelques mètres, les casseroles et poêles chutèrent de manière tonitruante des étagères. Ma mère hurla à son tour, proférant des insultes. Mes tantes accoururent, avec plusieurs de mes cousines. Comme si nous n'étions pas assez, déjà, dans ces six pièces, dans ce tumulte. Des meubles partout, des livres, des instruments de musique. Tout s'enfuyait, comme l'eau du bain glissant par le siphon. Comme si une partie de moi se faisait absorber avec ces foules de souvenirs en fuite, de moments perdus désormais. De moments bruyants et heureux.
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Feuillets volants - Recueil de nouvelles
Short StoryRecueil de nouvelles et histoires courtes.