Hope

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Cher jour- ouais, non, ça fait gnan gnan.

On est censé faire quoi, ensuite, se présenter ? Je sais pas, j'ai jamais eu à écrire ma vie dans un carnet. Merde.

Bref. Euh- j'ai 55 ans. Un peu vieux. Un demi-siècle d'âge. Ma tendre dirait que je suis comme un bon vin. Plus on vieillit, plus la robe se fait belle et le parfum savoureux.

Faudrait que je mette une date, non ? On est le 15 juillet. Il fait plutôt beau. Je rentre de l'hôpital. J'y suis allé voir Hope, ma femme, depuis belle lurette. Une vraie âme-soeur. Ça doit faire... vingt ans qu'on est mariés ? Un truc comme ça. Je l'aime plus que tout. Et je sais qu'elle m'aime aussi. Elle s'en souvient juste pas.

Je vais m'arrêter là, je pense. Les larmes montent vite.


16 juillet.

Je lui ai apporté des roses. Fleur de l'amour. Et elle m'a juste sorti "merci monsieur".

Elle ne me connaît plus.
Du coup, je lui ai montré toutes les photos. Notre mariage, notre maison, notre petit Jules le terrier.
J'ai vu un éclair dans ses yeux, comme si elle se souvenait un peu. Ça m'a encouragé. Je continuerai demain.


17 juillet.

Je suis revenu. Je lui ai montré d'autres photos. Je lui ai raconté le soleil et le pré. Je lui ai dit que notre p'tite vache Jasmine avait accouché d'un merveilleux veau. Je lui ai tout dit. J'ai vraiment discuté avec elle comme autrefois.

Et, à la fin, je l'ai entendu murmurer à l'infirmière, alors que je m'apprêtais à franchir le pas de la porte "qui est ce gentil monsieur ?".

J'ai la vaine impression de tenter de remplir une passoire.


20 juillet.

Je n'ai pas pu la revoir avant. Mais, en entrant dans la pièce, le premier truc qui m'a choqué est sa maigreur. Elle ne mangeait plus correctement. Elle oubliait de se nourrir. Ma femme...

J'ai pleuré devant elle et je lui ai demandé si elle allait bien.

Et comme tous les jours depuis qu'elle est là, j'ai dû recommencer les présentations depuis le début pour espérer avoir un tantinet de discussion avec elle. Pas juste parler avec un fantôme, mais bien avec ma Hope.


23 juillet.

Les médecins m'ont annoncé qu'elle ne tiendra pas longtemps. La maladie dévore son cerveau. Une âme du mauvais côté du monde. C'est tout ce qu'elle est.
Aussi, ce matin, comme à mon habitude, je vais la voir. Je n'essaie même plus de me présenter, je lui raconte juste le monde. Je lui montre quelques photos d'un cygne que j'ai prises hier, au lac. Elle aime beaucoup. Normal, ce sont tes oiseaux favoris, Hope. Tu les as toujours aimé, leur manière de survoler le monde, des anges qui veillent sur nous.

Elle m'a remercié pour ces photos avant de s'endormir.
Je t'en fais la promesse, p'tit ange, je te montrerais tous les oiseaux de la terre.


24 juillet.

Ce matin, elle avait une poche d'alimentation, qui lui donnait ce qu'elle oubliait d'avaler via son poignet. Elle était encore plus maigre qu'avant. Un esprit malade dans un corps défaillant. J'en ai eu mal au cœur.

Je lui ai présenté le rouge-gorge et la pie. Elle a adoré.

On a discuté un peu avant que, soudainement, elle ne s'évanouisse. J'ai appelé, paniqué, les infirmières qui l'ont juste un peu redressé. Elles m'ont ensuite expliqué que ça devenait courant. Elle s'endormait comme ça, sans raison, car insomnies et malnutrition ne font pas bon ménage.

HopeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant