Chapitre 3

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J'ai déjà été à des enterrements. Mais jamais pour des personnes que je connaissais aussi bien que moi.

Mes yeux me piquent et mon nez me fait mal à force de me moucher. Esteban a un bras autour de mes épaules, mais j'en ai à peine conscience.

Je tremble si fort qu'il doit me presser contre lui pour que je ne m'effondre pas.

— Ça va aller, il chuchote.

Il me décale avec lui pour laisser passer le cercueil. Nous sommes tous habillés en noir, mais j'ai mis des chaussettes jaunes qu'on ne voit pas en dessous de mes bottines pour qu'on ne les voit pas. C'est sa couleur préférée.

Un accident de voiture. En forêt. L'airbag ne s'est pas déclenché de son côté. Une très rare probabilité. Ça lui a été fatal.

J'ai mal. C'est Esteban qui me sert trop fort.

Ou alors j'étouffe, comme ce cercueil qu'on enterre.

J'enfouis ma tête dans l'épaule d'Esteban qui continue de me dire que ça ira.

Non, ça n'ira pas. Elle n'est pas là.

Le reste est flou. Je me souviens de beaucoup de sanglots, d' un trajet retour en voiture. Je fixais le ciel, imaginant sont long chemin vers les étoiles.

Et surtout, de la fatigue écrasante qui m'a envahi à la seconde où je me suis enfoui sous mes draps. De mes yeux brûlant. Mon estomac se tordait dans le vide, mon cœur était lourd, mais pour de vrai. Il pesait contre ma poitrine.

Mais au bout de quelques jours les larmes se sont taries, laissant place au vide. C'est presque pire.

Dans mon lit, j'essaie d'assimiler l'information. Elle me paraît fausse, irréelle. Comme si Floriane allait entrer d'une seconde à l'autre en criant "canular".

Mais ça fait une semaine que je me le répète, et ça n'arrive jamais.

On toque à la porte. Je marmonne une autorisation pour entrer, et Esteban pénètre dans la chambre.

— Je suppose qu'il serait ironique de te demander comment tu vas, si je me fie à tes yeux. Mais j'aimerais te montrer quelque chose dehors, tu viens ?

— Si c'est encore une de vos stupides surprises, non je ne viens pas.

Il rigole doucement.

— Non, ce n'est pas "nos". Les autres sont couchés, mais je me suis dit que ça te plairait.

Je m'extirpe des draps dont je ne suis sortie que rarement cette dernière semaine et le suit.

— Prends ton gros sweat, on va dehors.

Je soupire, mais ne veux pas opposer de résistance. Il sera capable de me tirer par le bras jusque dans la jardin.

C'est un peu ce qu'il fait puisqu'à peine ai-je enfiler mon pull qu'il me tire déjà par le bras.

Je marche mollement, épuisé rien qu'à l'idée de descendre les escaliers. Mais je survis à cette épreuve.

La porte menant au jardin est juste devant les escaliers, alors ce n'est pas long.

— Sors d'abord, me demande mon frère.

J'obéis, les paupières lourdes, le dos recroquevillé et les bras refermés autour de mon buste.

— Je veux retourner me coucher, je me plains.

— Arrête de chouiner et viens t'allonger dans l'herbe.

Il l'est déjà. Il fixe le ciel avec de grands yeux. Traînant des pieds, je le rejoins et me mets à côté de lui.

Assise, la tête entre les genoux, je respire doucement.

— Le but c'était que tu regardes le ciel, il grogne.

J'hausse les sourcils et m'étale dans l'herbe. Mes yeux se posent sur l'océan d'étoiles devant moi.

Ce soir le ciel est découvert et c'est sublime.

Au dessus de nous les points blancs sont plus que lumineux.

— Là il y a la grande ours, m'apprend mon frère en pointant une constellation du doigt. Et ici Cassiopée.

J'hoche la tête, mes yeux écarquillés.

Le ciel est noir mais illuminé par toutes ces étoiles, ont dirait qu'il scintille.

— Tu sais ce que me racontait Kai quand j'étais petit et que je faisais des cauchemars ?

Je secoue la tête, et il poursuit :

— Il disait que le ciel c'est comme la vie. Elle est très noir si on arrive pas à trouver les bons moment pour la regarder en face. Si c'est un ciel nuageux, tu ne verras pas très bien ce qui l'éclaire. En revanche, s'il est dégagé, tu verras à quel point il peut être beau.

— C'est magnifique. Et pas que le ciel.

Je le sens sourire.

— Il me racontait aussi le chemin des étoiles. Des nouvelles étoiles.

Mes yeux s'emplissent de larmes.

— Il disait, et il le dit toujours, que leur chemin est long et éprouvant. Que pour atterrir là-haut, il faut du courage. Le courage de quitter la terre ferme pour découvrir d'autres horizons. Celles qui ont rencontré le plus de difficultés sont les plus brillantes.

Il soupire.

— C'est un chemin difficile à emprunter, mais encore plus difficile à choisir. Des fois on se trompe et on décide d'y aller par nous même. Mais en réalité, c'est la vie qui décide si la terre nous attire encore assez pour qu'on y reste.

Mes joues sont striées de larmes.

— Tu penses qu'elle est bien là-haut ?

Il y a un silence pendant lequel j'essaie de sécher mes larmes.

— Je pense que s'il en a été ainsi, c'est qu'elle sera bien.

J'ai un faible sourire. Ce serait beau si ça existait.

Mais ce n'est pas réel. Elle n'est pas dans les cieux fantastiques que nous imaginons.

Elle est dans le sol, enfermée dans une caisse.

Je m'assois et renifle bruyamment.

— Bon, il est grand temps d'aller te coucher, chuchote-t-il.

Je me lève et on rentre tous les deux.

Monter l'escalier me paraît plus insurmontable qu'auparavant. Peut-être parce que je ne veux pas revenir à la réalité.

Mais je finis par le faire. Tout comme je finis par me glisser sous mes draps.

Fixant le mur de nos photos en face de moi, je sais que, de toute façon, ça ne sert à rien d'essayer de m'en remettre. Tout finit par partir, même les bons moments. Je pensais que la vie était belle. Que si on était de bonnes personnes, alors on serait récompensé.

Mais dans tous les cas, qu'importe ce qu'on fait, la vie trouve toujours un moyen de se faire détester.

***

Merci d'avoir lu 💚

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M.J

Le chemin des étoilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant