Rock Boys [BxB]

Prologue

Je ne vois que lui.

Mon poing serré tremble contre ma poche. J'ai le souffle court. Il faut que je trouve le courage de lui donner cette putain de lettre que je traîne depuis des mois. Je n'ose même pas l'aborder. Il ne me regarde pas. Je sais qu'il devine ma présence, ses doigts pianotent discrètement contre sa cuisse. Tout le monde s'est retourné, excepté lui. Les journalistes amassés contre les barrières ont la chance d'obtenir quelques-uns de ses sourires.

La portière claque derrière moi. J'avance à mon tour sur le large tapis rouge. Les flashs sont agressifs et m'éblouissent. J'entends qu'on crie mon nom, on me hèle, à gauche, à droite. Les reporters me font de grands gestes, espérant obtenir le cliché unique qui leur fera vendre plus d'articles. Je me sens comme un fantôme que mon corps est contraint à supporter.

Les automatismes de la célébrité me reviennent comme une malédiction, je joue pleinement le jeu pour lequel on m'a formé. Je souris, j'accorde un signe de la main, par-ci, par-là, je pose avec mes musiciens, ignore les cris qui en veulent toujours plus de moi.

J'essaie de ne pas le regarder, pas devant autant de caméras. Mais je ne vois que lui. Lui qui a bousculé de plein fouet toutes mes insécurités, tout ce qui faisait de moi qui j'étais. Lui qui m'a rendu vivant. Encore quelques poses pour les clichés et une main amicale dans mon dos me pousse à faire quelques pas.

- J'ai un trac de malade, je glisse tout bas à mon ami tout en souriant à une chaine de télévision londonienne.

L'accolade se resserre dans mon dos. J'en profite pour lancer une œillade furtive. Je déglutis. Il s'approche des marches dont le rouge fait dénoter la tenue d'un blanc immaculé qu'il a revêtu. Ça ne lui ressemble pas, il ne porte jamais de blanc. Pourtant, Dieu, ce que ça lui va à merveille.

Son bras encercle la taille de la jolie blonde à ses côtés. Ça me fout en l'air. Mon cœur hurle dans ma poitrine. Ma mâchoire se crispe. Nos chemins ne se sont plus croisés depuis des mois et il ne m'accorde pas la moindre attention. Comme si je n'avais jamais existé. Comme si rien de tout ça n'avait jamais existé. Une erreur sur son chemin, qu'il a aussitôt balayé.

Je ne veux pas croire qu'il ait déjà tiré un trait sur tout ça. Que je sois devenue une histoire ancienne. Il a tout gagné. Tout ce dont il a rêvé. Je suis en train de tout perdre. Et personne ne semble s'en apercevoir. Je le vois, souriant, blagueur, taquin avec les journalistes, il a tellement changé. On dirait presque qu'il flirte. Merde, je suis en vrac.

Du haut des marches, la jolie blonde qu'il tient par la taille se retourne pour m'adresser un signe de tête poli. Intrigué, il jette un œil par-dessus son épaule, se détourne dès qu'il m'aperçoit. Ma poitrine s'enflamme en un gigantesque brasier. Je l'ai vu serrer les dents. Elle lui murmure quelque chose à l'oreille.

En apnée, je me concentre sur une journaliste qui accapare mes musiciens pendant qu'ils disparaissent du point le plus haut de l'escalier. On se hâte de nous éloigner avant que la femme ne pose la question fâcheuse qui intéressent tous les vautours le long de l'allée rouge. Puis, à notre tour, nous gravissons les marches une à une. Un dernier salut à la foule hurlante qui se presse contre les dispositifs de sécurité. Le masque du sourire. Ce n'est qu'une fois à l'intérieur du bâtiment que je reprends mon souffle. L'un de mes musiciens me tape dans le dos.

- Tu l'as fait.

- Le plus dur est à venir, rétorqué-je.

Je passe une main mal assurée dans mes cheveux. On nous invite à nous diriger vers la salle de concert, où je dois l'entendre chanter une nouvelle fois en restant impassible face aux caméras. Je crains que sa voix n'ouvre plus grand encore le trou béant qui dévore ma poitrine. Je suis terrifié à l'idée de me retrouver face à lui pour lui tendre cette lettre, froissée à force de patienter dans ma poche. Mon corps se tend à l'idée d'effleurer sa peau.

Encore faut-il le trouver avant qu'il ne me file entre les doigts et ne s'échappe pour de bon.