7 Novembre 2019

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À ce cher Claude qui a changé ma vie,

Les journées sont longues depuis ton départ. Ce matin, je me suis habillée de mon haut le plus chaud. Cela me rappelle lorsque que tu m'entourais de tes bras et que tu me serrais si fort. Cette étreinte, dont je ne pouvais m'échapper, me faisait oublier les chants des oiseaux disparaissant au crépuscule du soir. Cette soirée d'été où tout le monde rigole aux éclats tellement il fait bon vivre. Cette soirée d'été où tout est parfait.

Je me rappelle de ton souffle chaud qui caressait mon cou. Le rythme de mon cœur s'accélérait au rythme de ce souffle si puissant. Je ne peux oublier les frissons que j'ai ressentis lorsque ta peau a effleuré la mienne. Tes doigts dansaient avec les miens, s'emmêlant et s'entremêlant. Avant, j'étais seule, mais tu es arrivé inondant ma triste solitude. Tu étais devenu mon repère, le seul qui hantait mon esprit. Tu as effacé cette peine insupportable. Comme tu l'as dit ce jour, tu es venu au secours de cette « belle demoiselle en détresse ». Tu as recouvert de ton attention les cicatrices de mon enfance. Je pouvais te dire que ça n'allait pas. Je pouvais te confier mes craintes. Tu me regardais. Tu m'écoutais. Tu ne disais rien. Cette fossette, qui embellissait ta joue rosée, me montrait la joie que tu pouvais ressentir auprès de moi. Les papillons détenus dans mon estomac étaient si vifs et robustes. Je ne connaissais pas ton histoire et tu ne connaissais pas la mienne. Et c'était très bien comme cela.

Comme un coup de foudre d'été. Comme un coup de folie d'été. Les longs jours d'été se terminent bientôt. Les saisons froides vont reprendre leur place dans ce monde, tout comme mon chagrin de te voir partir.

Les journées sont sombres depuis ton départ. Tu étais doux à m'enlacer. La brise caressait tes mèches blondes soulignant les traits de ton visage fin. Elles s'harmonisaient ensemble en de magnifiques boucles dont les courbes étaient si rassurantes. Ton regard émeraude, posé sur mes lèvres, me déstabilisait, tellement il était intense. Il racontait tout ce que tu ne pouvais dire. Je me souviens de ton odeur qui se mélangeait à celle du cuir qui ornait ton dos, un cuir usé par le temps. Je me souviens de cette branche que tu as failli embrasser, la faute à ces dix centimètres de trop. Pourtant, à moi, ils ne me dérangeaient en rien. Ta carrure pouvait en impressionner certains, mais elle cachait un être hésitant ayant peu confiance en lui. Sans doute, voulais-tu me prouver que tu pouvais être ce genre d'homme, grand, fort et courageux que les femmes désirent au plus haut point ? Tu n'avais pas besoin de ça. Je le voyais, je le savais, je le sais.

Et tu peux en être fier.

Les journées sont froides, depuis ton départ. Je retourne à cet endroit où nous nous sommes tenu la main pour la première fois. Je me rappelle que ce jour, quand tu m'as quitté, je pleurais. Les larmes coulaient le long de mes joues sèches. Le ciel est rempli de nuages aussi sombres que le cœur que tu as laissé ce jour-là. Je criais de douleur. Je hurlais de désespoir. Tu as envahi ma forteresse, celle que j'avais construite. Je ressens la douleur de ce contact. Ça n'a pris que quelques minutes, mais je l'ai vécu des heures. Le soleil a disparu. Il fait froid. Les capucines se sont refermées en boutons. Les oiseaux se sont cachés dans leur nid. Il n'y a plus un bruit. Juste mes cris étouffés. Étouffés par ta gigantesque main. Je ne peux plus respirer. Ce souvenir de toi agrippant les volants de ma jupe rosée froissée par l'usage de la journée me terrorise toujours autant. Cette poignée décidée, ferme, qui déchire la dentelle de ce sous-vêtement que j'ai tant apprécié. Cette sensation d'intrusion me paralyse. Ce regard, ce regard que j'aurais dû mieux lire, me terrifie maintenant. Lentement, je ressens comme une éruption au fond de moi ; une vague d'effroi secouant mes organes les plus nobles.

J'ai mal. Je suis étranglée par la surprise. Je ferme mes yeux. Ils me piquent, ils s'enfoncent. Je cherche un décor de paradis dans lequel mes pensées pourraient s'y échapper. Impossible. Mes cinq sens sont piégés, condamnés. Je te frappe de toutes mes forces de ma main la plus faible. Rien n'y fait. Tu ne réagis pas ou presque, tu accélères, tu grognes. Ça t'excite. Ton souffle se transforme en sons aux résonnances cruelles, dégoutantes. J'ai envie de vomir, de dégoût, de honte, de peur. Tes grognements deviennent plus forts, plus rapides. J'appelle au secours. Je crie au secours. Je hurle au secours. Mais aucun son ne s'échappe. Je veux exploser. Je tremble. Je n'entends plus rien, seulement le son de mon cœur prêt à bondir de ma cage thoracique. Je n'arrive plus à respirer. Ton poids m'emprisonne. Ma gorge est nouée. Je suis liée. Je suis surprise par le liquide qui mouille mes cuisses contraintes à danser à ton rythme.

Quand cet interminable moment semble avoir pris fin, tu me murmures quelque chose à l'oreille. Mon cœur s'éteint. Tu poses tes lèvres couvertes de sueur sur les miennes. Je sens ta langue caresser la mienne. Je crois m'étouffer par la salive que je n'arrivais plus à avaler depuis que tu t'es allongé sur moi. Ta terrible haleine de cigarette me donne la nausée. Les larmes continuent à couler. Tu me murmures de nouveau quelque chose contre mes lèvres. Tu ris. Tu te lèves. Tu t'en vas, tête haute, poitrine bombée, fier.

Je veux crier. Mes lèvres restent serrées comme si tu aurais pu revenir pour franchir de nouveau la limite. J'essaie d'ouvrir les yeux, mais je ne peux pas. J'ai trop pleuré pour ça. Je ne veux pas les ouvrir. Je ne veux pas constater ce qu'il s'est passé. Il ne s'est rien passé. Pourtant, je me lève. Le liquide rouge vif, qui coule le long de mes jambes, tâchait le précieux cadeau que ma grand-mère avait confectionné pour la fête de ma majorité. Je ne suis plus la même. Je ne ressens plus ce que j'étais. Ma démarche est différente, douloureuse. Mes bras me brûlent par les entailles des longs brins de pelouse de ce parc. Je veux disparaître, que personne ne me reconnaissent, que personne ne me voit. Je ne veux plus voir personne.

Je suis neuve à présent.

Depuis ton départ, je ne pense qu'à toi. Tu m'as tout volé. Mon cœur, mon innocence, mon âme. Je me sens vide. Je suis brisée par ce poids que tu as fait grandir en moi. Je n'avais pas besoin de cette blessure en plus de celles qui habillent mon être. Je ressens une peur irrationnelle quand la seule idée de serrer une main m'effleure l'esprit. J'ai beau mettre tous les vêtements chauds qui remplient mes placards, j'ai toujours, à mon grand désespoir, et à jamais, froid. Je marche tête baissée, non pas pour confronter leur regard, mais pour m'assurer que la jupe que je ne porterai plus jamais dorénavant ne laisse entrevoir cette blessure qui se rajoute à ma collection. Je me méfie du seul geste doux que l'on pourrait m'offrir. Je suis liée. Rien ne sera, plus jamais, pareil. Cette liberté que j'aimais. Je serai à tout jamais attachée à toi, à ça. Quand je les vois, je veux crier que ça ne va pas. Je ne peux pas. Ces pensées parlent à ma place. J'entrouvre la bouche. Ce ne sont pas les mots, mais des larmes qui sortent. On me demande si ça va. Je couvre mon « non » d'un « oui » convaincant. Je ne veux pas revivre ce moment pour qu'il comprenne que je ne vais pas bien. Je ne veux pas qu'on me demande pourquoi je suis tombée sous ton charme. Je ne veux pas qu'on me demande pourquoi je n'ai rien fait alors que je mourrais. Je ne veux pas qu'on me demande pourquoi je n'ai pas été prudente alors qu'il ressemblait à cette figure paternelle dont j'avais besoin. Je ne veux pas qu'on me demande pourquoi je ne me sens pas coupable d'avoir vécu ce moment.

Rien. Plus rien n'a de sens. Ces pensées me torturent. Une vieille dame vient tout juste de me demander si je pouvais lui céder le siège sur lequel je suis assise pour lui permettre de reposer ses jambes fatiguées par le temps. Je l'ai fixé sans vraiment la regarder. Elle m'a posé une nouvelle fois sa question. Mes paupières se sont mises à trembler. Pourquoi ? Pourquoi devrais-je lui céder ma place ? Pourquoi pas l'homme en face de moi qui tapote sur son téléphone ? Pourquoi pas cette femme qui fixe la vitre du bus comme si le décor de la ville polluée était vraiment beau à contempler ? Pourquoi pas cet homme qui a l'air de pouvoir soulever le double de son poids ? Pourquoi serait-ce à moi de céder ? Pourquoi a-t-il été à moi de céder de vivre ce jour-là ?

Je me rappelle de ce sourire qui couvrait ton visage. Quand je ferme les yeux, tu apparais dans l'obscurité de mon âme. Je ne peux imaginer ma vie maintenant que tu me l'as dérobé.

Alors à ce cher Claude qui m'a enlevé la vie,

Je te souhaite de crever en enfer comme ce genre d'homme grand, fort et courageux que tu voulais être.

Ta « belle demoiselle en détresse »

A ce cher ClaudeWhere stories live. Discover now