Chapitre 1

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Dans cette salle que j'avais vu beaucoup trop de fois à mon gout depuis mon arrivée ici, je célébrais non le départ d'un énième enfant mais bien le mien. Moi, Evelyn Jones, venait d'être recueillie alors que j'allais bientôt atteindre la majorité. Au fil des années, j'avais vu défiler un nombre incalculable de famille mais avec mon âge avancé, aucune d'elles n'avaient voulu de moi sur le long terme. Après tout, qui voudrait d'une adolescente qui de surcroit ne daignait même pas ouvrir la bouche.

Assise à une table, je regardais au travers de la vitre le couple avec lequel j'allais repartir, muette. La responsable du centre m'avait laissé entrevoir leur dossier et j'étais rassurée de constater qu'il s'agissait d'un couple qui souhaitait simplement construire une famille. En somme, deux personnes on ne peut plus normales. Petite, j'avais souhaité si fort repartir avec des gens comme eux, mains dans la mains en passant ces portes que j'avais à présent en horreur. Aujourd'hui, je me demandais simplement combien de temps ils mettraient avant de me ramener ici en s'excusant de ne pas pouvoir me garder auprès eux.

La gorge nouée, je regardais la femme qui m'avait si souvent réconforter s'approcher de moi avec un doux sourire accroché au visage. Elle y croyait. Selon elle, cette fois pourrait bien être la bonne. De mon côté, l'espoir s'était éteint depuis un moment déjà. J'attendais patiemment le jour où je pourrais enfin passer ces portes, libre de choisir la vie que j'aurais souhaité.

- Evelyn, souria-t-elle. Les Gray sont des gens formidables. Je suis certaine que tu seras très heureuse avec eux.

Ne lui décrochant aucun mot, je savais pourtant très bien qu'elle comprenait ce que je pouvais bien penser. Nous avions déjà vécu cette scène. Nous étions déjà passé par là elle et moi. Nous avions déjà vécu mon départ puis mon retour quelques semaines plus tard. Le résultat de cette expérience m'avait fait comprendre que les chances pour que je reparte au bras de quelqu'un était infimes, voir même inexistantes.

Encapuchonnée dans mon sweat-shirt favoris, je faisais face à ce couple de bonne famille qui souriait toutes dents dehors. Si eux étaient optimistes, moi je comptais déjà les jours qui me séparaient de cet endroit où j'avais quasiment grandi. Serrant, la gérante dans mes bras, je l'entendis me murmurer des encouragements à l'oreille puis ses bras me lâchèrent. Valise à la main, je sortie de la bâtisse qui me servait de maison avant de monter à l'intérieur de la voiture du couple qui m'invitait à y entrer.

Le trajet fu calme, Monsieur et Madame Gray avaient bien essayé d'entamer la conversation avec moi mais je n'étais pas capable de leur offrir plus que de simple hochements de tête. Au bout de plusieurs minutes, ils avaient fini par abandonner l'idée de converser avec moi, comme tous les autres avant eux. Le regard tourné vers l'extérieur, j'observais les rues de Portland défiler sous mes yeux. Quittant lentement le centre-ville, j'aperçu au loin les différentes maisons parfois en briques, parfois en bois. Plongée dans mes pensées, je ne releva le nez que lorsque la voiture s'arrêta dans une allée face à l'une d'elle, mixant les deux styles architecturaux avec de grandes baies vitrées. Même avec mes nombreux voyages entre les familles d'accueil et le foyer, je n'avais jamais vu une maison aussi belle que celle des Gray.

Le sourire aux lèvres, Thomas, m'invita à sortir de l'habitacle pour découvrir leur demeure. Tirant ma valise derrière lui, je le suivais, les mains dans les poches de mon sweat, accompagner de sa femme qui elle n'avait pas prononcé un mot depuis que nous étions montés en voiture. Passant la grande porte en bois, je fu saisi devant l'intérieur qui se présentait à moi. Les pièces étaient recouvertes d'un blanc immaculé et étaient baignées de lumières malgré les grands rideaux en lin qui courraient jusqu'au parquet. Cette maison semblait dégager un calme et une sérénité que je n'avais alors jamais connus. M'invitant à les suivre, Thomas et Abigail me firent découvrir l'ensemble de la propriété. De la cuisine toute en bois jusqu'à la terrasse extérieur parsemée de guirlandes lumineuses, nous avions ratissé toutes les pièces et je savais pertinemment ce qu'ils tentaient de faire. Comme tous les autres avant eux, le couple Gray essayait de me mettre en confiance, espérant peut-être ainsi me délier la langue. Au plus grand malheur de chaque famille où j'avais pu être placé, cela n'était encore jamais arrivé.

Heartfelt LaneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant