Jeunesse en pagaille

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J'aurai dû me douter en même temps qu'une fois entré, Luna aurait d'autres choses à faire que me tenir la main. C'était vexant, je me sentais un peu seule. Mais il y avait tellement de monde que ma solitude se fondait dans la masse. Ce n'est pas toujours facile de savoir quel est le juste milieu dans ce genre de soirées étudiantes. Parce qu'il y a celles qui viennent bien trop habillés, ceux qui viennent en pensant qu'un ensemble de survêtement assorti ça fait moins "pyjama"qu'un ensemble de survêtement dépareillé, ceux qui sont un tout petit peu plus élégant que les autres alors tout le monde les remarques, celles qui n'en font pas assez et celles qui en font trop. Elle sort d'où ma mère pour prétendre que tout le monde est pareil ? Toute cette mixité me donnait le tournis. 

J'avais mis ce jean qui ressemblait à celui de tous les autres, avec mon gilet accroché à ma taille, et ce top un peu trop voyant pour les cours, et pas assez pour les fêtes. Je n'étais pas à l'aise, mais j'ai croisé une inconnue qui avait le même. Ça m'a rassuré, je n'aime pas trop me faire remarquer, surtout dans ces fringues que je n'ai pas l'habitude de mettre. "Oh! Joli collier !" me lança une inconnue parfaitement saoule. J'ai frissonné mais le temps de chercher d'où elle venait elle était déjà repartie dans la salle. J'ai attrapé nerveusement mon collier, bon choix Luna, merci ! 

On m'a tendu une bière sans me parler. Je me serais méfiée, mais elle n'était pas encore décapsulée. Alors j'ai bu. En mon for intérieur, je sais que la soirée ne sera pas amusante avant la troisième bière alors autant boire vite et manger tard. 

On était arrivé à un moment où la soirée était déjà bien entamée, et les musiques étaient celles qui font danser. Les gens s'agglutinent au centre, comme une masse mouvante et chaotique de jeunesse en vrac qui crie des paroles que je ne peux même plus entendre. Mais je connais la chanson, sûrement. Je balayais la salle du regard, officiellement pour chercher Luna des yeux,et en réalité pour voir s'il n'y avait pas quelqu'un qui pourrait me plaire et à qui de toute façon je ne parlerais jamais. A la place, j'ai vu mes semblables. Les autres pauvres "petits chats" (comme dit Luna), qui se mettent sur le côté et qui regardent la salle en buvant le temps de rassembler assez d'énergie pour trouver ça amusant. On échange des regards, faisant vainement semblant de s'amuser, souriant, l'air fatigué. Mais c'est de l'incompréhension, autant que c'est de l'envie. 

Sauf que cette fois je me suis senti frémir, quand j'ai vu quelques danseuses se rapprocher l'une de l'autre sans arrêter de gigoter. Celle avec le top rouge a pointé un des introvertis dans le coin au fond en disant quelque chose à celle au top vert, et elles ont poussé de rire comme des connes. Alors j'ai marché vers la table qui croule sous le poids de l'alcool, j'ai vu une bouteille de tequila et des gobelets. Je me suis fait un shot de la moitié de la contenance du verre, et j'ai tout avalé. J'ai fermé la bouche, sentant ma gorge enflée comme si ça m'avait rendue allergique. Je me suis retourné vers la salle, tâchant d'avoir l'air indifférent, avec cette fausse assurance maladroite de l'idiote qui fait semblant que l'acide mexicain n'est pas en train de lui faire découvrir ses organes. Quand je fais ça, les gens ont l'air de moins me regarder que quand je ne fais rien. Mais bon sang, parfois j'ai l'impression d'avoir des élans d'égo virile complètement idiots. J'avais envie de m'intégrer pour une fois. 

Mais Luna avait disparu. 

C'est alors que trois accords d'un morceau ont raisonné. "Na-na-na come on!" ; toute la salle a abandonné ses conversations pour se jeter dans la cohue en hurlant. La tequila m'est monté à la tête, et j'ai fait quelques pas nerveux dans la même direction que le reste du monde pour "danser". Luna, bien au centre, m'a vue arriver, a sourit comme le jour et m'a pris la main. Je connais cette chanson sans connaître les paroles, mais le refrain suffit à me les faire apprendre. Alors on chante – ou plutôt on crie – comme si on récitait des évangiles furieux, dans une grande communion à la gloire de l'artiste. Parfois c'est dur de dire s'ils crient aussi fort pour cracher de la joie ou de la rage. J'imitais timidement les autres, sans comprendre cette liquidité ambiante. Elles font des vagues avec leur corps, commes des poupées désarticulées et hypnotisantes – j'exclus les "ils" parce que si loin sur la piste, il n'y a plus aucun garçon – ; Ca monte et ça descend, ça tourne et ça ondule, le regard abstrait ou les yeux fermés, en criant la musique comme si elle venait de son ventre. Moi je n'ose pas bouger disons... aussi fort. Aussi franchement. 

Scènes de vie quotidienneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant