23. Ils savaient qui ils cherchaient

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Halloween avait été déprimant, la fête de Guy Fawkes calamiteuse, Noël sinistre, alors Rebecca ne s'attendait pas à ce que son anniversaire fût autre chose que lugubre. Elle était née le 30 décembre, entre Noël et le jour de l'An, une période qu'elle considérait comme relativement stratégique pour célébrer son anniversaire. En effet, il s'agissait toujours d'une semaine calme, où personne n'avait envie de travailler et tout le monde était prêt à faire une petite fête.

Ce jour-là, mue par un instinct enfantin, Rebecca ouvrit les yeux au petit matin. Elle se glissa hors de son lit avec souplesse pour ne pas réveiller Valerian. La veille, il avait été à peu près calme, mais la nuit précédente des cauchemars l'avaient encore réveillé. En fait, il ne se réveillait pas vraiment : il ouvrait à moitié les yeux, aveugle au monde qui l'entourait, pleurant dans son sommeil. Rebecca, dans ces moments-là, le prenait toujours dans ses bras et le serrait contre elle jusqu'à ce qu'il retombât d'épuisement. Ce n'était pas vraiment un câlin ; c'était plutôt une armure.

Dans le salon encore sombre, tout était calme. Philip le plant de tomates était parfois pris d'un frémissement inexpliqué, mais c'était habituel. Rebecca avança à pas de loup jusqu'à la cuisine où elle avait laissé la bande dessinée qu'elle lisait, et eut la surprise de tomber sur Emma. La jeune femme était assise à la table de la cuisine, une tasse de thé à la main. Ses cheveux à la couleur indéfinissable, entre le blond et le châtain, tombaient sur ses épaules. Elle lisait le journal.

Rebecca retint sa respiration et s'immobilisa. Avec un peu de chance, Emma ne l'aurait pas vue. La petite fille avait conscience d'être désagréable avec elle depuis qu'elles vivaient ensemble, mais c'était plus fort qu'elle, elle l'avait dans le nez. Elle n'avait pas envie d'une baby-sitter, voilà tout. Elle n'aurait pas su dire de quoi elle avait envie, mais d'une baby-sitter, certainement pas.

« T'as le droit de rentrer, tu sais. »

Zut, grillée. Emma n'avait même pas relevé la tête. Pour être honnête, elle était un peu moins sur le dos de Rebecca, ces derniers temps, et la petite fille en éprouvait à la fois du soulagement et de la méfiance. Était-ce une nouvelle stratégie pour la faire parler de ce dont elle ne voulait surtout pas parler ?

Mais Rebecca était trop fière pour faire demi-tour une fois qu'on l'avait provoquée. Le nez en l'air, elle entra dans la cuisine et s'assit à côté d'Emma.

« Tu veux lire avec moi ?

-Le journal ? s'étonna Rebecca.

-Eh bien, oui, le journal, s'amusa Emma en se déridant pour la première fois. Tu vois autre chose ? »

Rebecca fit grise mine mais se pencha sur le journal, qui s'appelait Le Chicaneur. Le bilan du jour n'était pas fameux : une attaque de Détraqueurs à Londres – rien que leur souvenir fit remonter la bile de l'estomac de Rebecca –, une disparition inexpliquée à côté de Leeds. C'était partout alors, songea la petite fille avec un sentiment qu'elle ne parvint pas à nommer. La guerre était partout.

« J'ai jamais lu le journal, déclara-t-elle à Emma.

-Ah bon ? fit celle-ci. Tu n'as jamais essayé de lire le journal de ton père ? Ça te ressemblerait, pourtant.

-Eh ben en fait, mon père n'achetait jamais le journal. Il disait que ça ne l'intéressait pas, que ce n'était pas le monde extérieur qui était important. »

Une bien mauvaise philosophie, conclut Rebecca avec un goût de bile dans la bouche.

« Le mien l'achetait tous les jours, mais il ne le lisait jamais », raconta Emma à son tour.

Rebecca hocha la tête, vaguement amusée par l'anecdote mais pas suffisamment pour se mettre à sourire. De toute façon, elle n'avait plus envie de discuter. Trois phrases, c'était largement suffisant avant de replonger dans l'humeur sombre qui remplissait ses journées.

La guerre aux yeux gelésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant