Chapitre 10 - Nikolas II

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...Nikolas...

Je pris la trousse dans mes mains en tremblant et lui lançai un regard interrogatif. Dans ses yeux, quelque chose semblait avoir changé mais je ne sus mettre un nom sur ce que je ressentais en le regardant.

— Tu ne..., tentai-je finalement.

— Si tu meurs, je meurs, dit-il simplement. Si tu meurs, alors cette trousse restera là avec nos cadavres, en attendant que quelqu'un vienne la trouver un jour.

Il me tourna le dos et croisa ses bras, mimique qu'il utilisait si souvent lorsqu'il voulait qu'une discussion tourne enfin dans son sens ou s'arrête plus simplement. Je m'approchai et posa une main ensanglantée sur son épaule.

— Ce que j'ai ressenti avec cet engin du malheur, ce n'était pas pour me plaire, continua-t-il finalement. Je n'étais pas bien du tout mon toutou. Tu avais raison mon con, si ton nom est inscrit ici, le mien le sera aussi. Je crois que nous devrions nous empresser de les rajouter, lesdits noms. Il serait si triste que nous rations notre chance de devenir célèbres. Merde, Niki mon petit, qu'est-ce que c'était dur...

J'eus envie de lui dire que c'était l'espoir et l'optimisme qui s'étaient soudainement développés en lui mais je compris que ceci était irrémédiablement des choses qu'il n'avait jamais comprises. Je n'en doutais pas, ce devait être pour lui une expérience profondément terrifiante. Qu'il souhaiterait, je pensais, ne jamais revivre dans une telle situation.

La douleur me paralysait les bras, le sang coulait et Éric me fit des pansements de fortunes en sacrifiant son t-shirt sale. Je ne le savais pas si doué de précaution, lui qui d'habitude brisait et amplifiait le mal. Mais ce jour-là, il me soignait avec toute l'attention d'un médecin. La petite étincelle qui brillait dans ses yeux, ce fut comme un mythe auquel je n'avais jamais cru.

J'eus envie de lui dire que je l'aimais, que j'aimais ce que je voyais en lui. J'allais le faire, sûr, mais il reprit sa tête blasée qui me prouva son inquiétude.

— Nous devons y aller, pépé. Je ne sais pas quelle saloperie tu t'apprêtais à me vomir mais je ne veux pas en entendre parler, tu m'entends petit cancre ?

Je souris et ne dis rien.

Nous arrivâmes dans une pièce a priori unique : le siège du programme Juno. Je n'arrivais toujours pas à me mettre des idées claires sur le but de ce programme, sur la façon dont nous devions l'utiliser. Mais nous perpétuâmes pourtant docilement cette quête.

Ici restaient les vestiges du travail acharné de centaines d'hommes et femmes. Les ordinateurs continuaient de tourner, de ronronner et de calculer. Je ne savais dire quelle force leur permettait de fonctionner.

— Des générateurs de secours ? Demandai-je

— Impossible, ils n'auraient jamais tenu si longtemps, mon bon géant. Peut-être que... Les hommes qui ont allumé leurs générateurs là-haut ont réactivé quelque chose ici. Mon Dieu, Niki, tu avais foutrement raison. Mec, je suis franchement désolé. Je t'aime comme mon frère.

— Allez, viens.

Pourquoi je ne pouvais pas savourer sa joie et surtout m'enivrer de ce que j'avais toujours espéré voir chez lui, je ne savais pas. Il aurait dû savoir à quel point je l'aimais aussi, à quel point il était de loin la personne la plus palpitante et trépidante que j'avais rencontrée dans l'ennui constant de la vie.

**

Nous fouillâmes l'énorme pièce jusqu'à ce qu'Éric tombe enfin sur un ordinateur à l'aspect étrange. Il hurla mon nom, je le rejoignis et constatai qu'effectivement, cet ordinateur sortait de l'ordinaire. L'unité centrale était monstrueusement énorme. Je n'imaginai même pas la complexité nauséeuse des calculs qui avaient dû s'opérer ici. Et qui devaient, bien apparemment, continuer de s'effectuer.

En plein centre de l'unité, inscrit : Juno.

Un hologramme, une entité informatique foutrement démente d'intelligence, est-ce que ça pouvait être ça ? Juno me paraissait trop... humain pour n'être qu'une simple calculatrice aux capacités infinies. Se pouvait-il que nous soyons face au responsable même de ce carnage, je ne pus m'autoriser à y penser plus longtemps.

Éric s'approcha, tout aussi médusé que moi, et posa sa main valide sur l'appareil. Il reçut ce qu'on appelait communément un léger coup de jus qui le fit reculer de deux mètres. Ses cheveux se dressèrent sur sa tête, ladite tête qui se mit à tourner, à tourner, il tomba sur ses genoux. Il pesta, cracha et se releva lentement.

Il y avait un large écran. Je m'approchai, soufflai la poussière qui avait envahi le bureau et pris la souris bien en main.

Je tremblais d'impatience.

Je cliquai dessus mais l'ordinateur n'émit rien de particulier. Je m'approchai de la grosse unité centrale Juno, regardai partout et trouvai un interrupteur si gros que je dus prendre mes deux mains pour le lever. Il y eut un son grésillant, l'ordinateur sortit de son mode off prolongé.

L'écran commença à s'animer.

— Je crois qu'il est le moment d'ouvrir le tube, mon petit Niki.

Il avait ce truc dans les yeux, cette fascination face au mystère de son contenu, cette envie qu'il devait réprimer sans savoir comment depuis le début. Il ressemblait à un môme à l'impatience intarissable, il ressemblait finalement à lui-même dans son attitude puérile.

Je ne dis rien et sortis la trousse, le petit tube dans les mains. Je tremblai, je tremblai, je commençai à dévisser et le couinement spécifique reprit.

Couic, couic, couic.

Le petit tube ouvert, je m'imaginai y trouver une clé permettant d'ouvrir un coffre millénaire, y trouver le plus inestimable des trésors qui au-delà d'armes et solutions envisagées, se trouvait être forcément logique. De quoi tuer la probable IA ayant engendré ce carnage. Le sérum ou bien l'arme ultime pour nous sauver.

Ç'aurait pu être l'âme de Dieu, j'y aurais cru.

Mais ce qui tomba au creux de ma main me surprit.

**

— C'est quoi cette blague ? s'énerva Éric.

Je ne répondis rien à nouveau. La petite clé USB semblait avoir vécu à d'autres époques, d'une mémoire de stockage si ridicule qu'il était inconcevable qu'elle ne puisse contenir quoi que ce soit de complexe et de lourd.

Je me levai, la branchai dans l'unité centrale énorme et retournai m'asseoir, sans un mot, dépité mais curieux de connaître la raison de ma propre déception.


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