Prologue

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Gabriel

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Nana éclate de rire avant de courir vers la forêt. Sa robe rose pâle s'accroche dans les ronces, mais rien ne l'arrête dans sa course. Je souris avant de me retourner contre le tronc d'un arbre.

- 1,2,3... j'espère que tu es bien caché Nana, sinon tu vas encore perdre ! criais-je pour énerver ma petite sœur.

- T'es vraiment pas drôle Gabi ! Laisse-moi gagner pour une fois, lance Nana d'une voix boudeuse.

Je glousse doucement avant de reprendre mon décompte. Du haut de ses cinq ans, ma sœur est la pire mauvaise joueuse du monde. Et ce qui me plaît le plus, c'est de la faire enrager. Tous les copains de mon âge me disent qu'à huit ans, c'est vraiment trop naze de jouer encore avec sa sœur, moi je trouve ça super rigolo, alors je continue !

Maman nous interdit toujours d'aller jouer dans les bois, alors on le fait en cachette. Je ne suis pas sûr que ça soit très discret quand on revient à la maison avec des feuilles plein les cheveux, et nos vêtements tout déchirés. Nana est une casse-cou, elle fonce et se fait tout le temps mal. Maman nous gronde sans arrêt. Mais, Aïna me suit quand même dans toutes mes aventures, sans rechigner. C'est une vraie guerrière !

- 100 ! J'arrive !

Je m'avance sur le chemin de terre. Je ramasse un caillou au passage et le fait rouler entre mes doigts. Je prends mon temps pour chercher Aïna, je suis sûr qu'elle s'est cachée au même endroit que d'habitude.

- Mais où es tu cachée, criais-je fort pour qu'elle puisse m'entendre.

Un nouvel éclat de rire me guide à travers les bois. J'en étais sûr ! Elle s'est simplement cachée dans le fossé qui borde la maison abandonnée. Je n'aime pas trop qu'elle se cache ici, cette vieille ruine m'a toujours fait peur. J'ai bien essayé d'interdire à Nana de s'y cacher, mais comme elle ne veut rien n'écoute, elle y va toujours !

Je marche à pas de loup pour faire durer le suspens. Une nuée d'oiseaux qui prennent leur envol me fait soudain sursauter. Je suis attentif à tout ce qui se passe dans la forêt. Des craquements inquiétants se font entendre. Les feuilles bruissent au gré du vent. Plus je m'enfonce dans les bois, moins les rayons du soleil réussissent à traverser l'épais feuillage des arbres. Il fait sombre, mais je connais le chemin par cœur. Je m'éloigne encore.

- Nana où es tu ?

Je pouffe gentiment, parce que je sais très bien où elle est. Étonnamment, ma sœur ne me répond pas. Surpris, je réitère ma question.

- Nana ?

Rien. Je commence à marcher un peu plus vite, si elle essaye de me faire peur, c'est gagné ! Je n'aime vraiment pas ça.

Un cri suraigu me perce les oreilles. Je suis tellement déstabilisée que je me prends les pieds dans une racine et tombe la tête la première parterre. Je commence à m'inquiéter. Ma sœur n'est pas du genre trouillarde, elle ne crie jamais sans raison. Je me relève précipitamment. Mes mains sont toutes écorchées. Je les essuie sur mon short, mais du sang recommence à couler. Tant pis, maman ne sera pas contente !

Je cours vers le fossé pour retrouver Aïna, peut-être qu'une araignée lui est tombée dans les cheveux. Elle n'aime vraiment pas les araignées. Un hurlement strident me pétrifie sur place. J'arrête de courir quelques secondes. Je suis essoufflé, mais je force sur mes jambes pour repartir encore plus vite.

J'arrive au niveau de la cabane abandonnée, je longe le mur pour sauter dans le fossé. J'écarte toutes les feuilles mortes pour essayer de trouver ma petite sœur, mais elle n'y est pas.

- Aïna, c'est pas drôle ! Tu as gagné, dis moi où tu te caches ! On rentre à la maison ! dis-je paniqué.

Je lève la tête et mes yeux tombent directement sur une grande silhouette noire. Je ne comprends pas bien ce qu'il se passe. Ma sœur essaye de se débattre, mais elle ne peut pas crier. Une main gantée lui recouvre la bouche.

- Aïna !

J'essaye de sortir du fossé, mais mes mains glissent sur la terre humide. Je commence à m'énerver et je crie encore le prénom de ma petite sœur. Je regarde Nana se faire enlever sous mes yeux. La personne masquée attrape ma sœur par les épaules avant de l'emporter loin de moi. Je hurle comme un fou furieux. Je saute de toutes mes forces pour pousser mon corps vers l'extérieur du caniveau. J'entends les pleurs assourdissants de ma sœur. J'empoigne des racines et je rampe sur le sol, et puis je cours sans m'arrêter. Je fonce vers l'endroit où j'ai vu le monstre prendre ma sœur.

Quand j'arrive, il n'y a plus personne. Plus un bruit. Je tourne sur moi-même pour inspecter les environs. Mon cœur bat très fort dans ma poitrine. Des larmes salées se coincent dans mes yeux. Je les essuie avec rage. Je cours encore sans savoir où je dois aller pour la retrouver. Il n'y a rien, personne. Je baisse la tête et trouve la barrette rose à paillettes préférée de Nana. Elle ne l'aurait jamais laissé tomber.

Je me réveille en sursaut, le souffle court. Ça fait 20 ans que je fais le même cauchemar, et ça toutes les nuits sans exception. Je croyais qu'un jour, je finirais par m'y habituer. Il n'en est rien. Je suis toujours dans un état pitoyable à mon réveil. La culpabilité et la tristesse m'accompagnent chaque nuit à la fin de ce cauchemar. Quelquefois, la peine est tellement forte que des centaines de larmes accompagnent mon chagrin. Cette fois, j'ai de la chance, seule l'angoisse me comprime la poitrine. Je n'arrive plus à respirer. Je me précipite alors sur la fenêtre de ma chambre, je l'ouvre en grand et sors sur le balcon. J'essaye de gonfler mes poumons, mais l'air continue à me manquer.

20 ans de cauchemars et je suis toujours incapable de les gérer.

Ça fait 20 ans que ma sœur s'est faite enlever.

Ça fait 20 ans que je la cherche sans la trouver.

Ça fait 20 ans que je t'attends, Aïna.

Ça fait 20 ans que je te demande pardon sans jamais avoir de réponse.

J'ai détruit ma famille et j'en porterai le poids jusqu'à la fin de ma vie.

Nos cris du cœurOù les histoires vivent. Découvrez maintenant