[Chapitre 1]

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Une décennie. Une décennie que je suis ici, aux Enfers.

De mon vivant, je n'ai jamais eu de chances. Échec de naissance, la fierté de mes parents qui attendaient un garcon n'a jamais vu le jour. Échec de santé, je n'avais pas un bon système immunitaire. Échec scolaire, je n'aimais pas ça, je ne comprenais rien. Échec professionnel, puisque du coup je ne faisais rien. Échec amical puisque je n'avais pas d'amis. Et pour terminer... Échec amoureux. Puisque je n'interessais personne et n'ai jamais eu personnes. Oui, je suis morte vierge. Vierge, seule, et personne ne m'a pleuré.

J'ai rencontré Charon, le passeur d'âmes alors que je errais, sans but. Je ne savais pas qui il était mais je m'en doutais, il fallait que je le suive. Alors c'est ce que j'ai fait.

Charon n'était pas quelqu'un de causant et j'étais seule, dans cette barque, avec lui. Seule, encore seule. Je regardais autour de moi. Il faisait noir, le Styx scintillait des âmes tourmentées tandis que nous voguions dessus.

- Qui sont ces personnes ? Demandais-je doucement, sans m'attendre à une reponse.

Charon leva sa tête osseuse vers moi et cessa son coup de rame.

- Les Damnées. Ceux qui ne méritent pas d'être sur un sol. Les mauvaises personnes.

Il avait la voix forte et très rauque, à l'image de l'impressionnante personne qu'il était. Je levais mon regard vers lui doucement.

- C'est... Là où vous allez me jeter... ?

- Vous avez le droit de passer de l'autre côté. Irène.

- Mais.. Rien ne m'y attend.

- C'est un ordre de mon maître. Je devais vous jeter avec eux. Votre existence a été insignifiante, rien n'a été accomplir, rien ne ressort de votre vivant ni votre mort. Mais mon maître a ordonné que je vous conduise sur la rive.

Je ravalais ma salive avec difficulté.

- Votre maître.. ?

- Monseigneur Hadès. Le tout puissant dieu des morts regnant sur les Enfers.

- Et comment sait-il que je suis là ?

Charon, pour toute réponse, tendit le doigt vers une partie obscure de la caverne.

- Monseigneur vous observe depuis que vous êtes montée.

Je baissais la tête, sans comprendre.

- Monseigneur a vu quelque chose en vous. Il veut vous voir. Je vais vous déposer. Il faudra suivre le chemin.

- Q... Quel chemin ?

- LE Chemin ! S'exclama Charon d'un rale rauque.

La barque s'immobilisa et je pus descendre doucement.

- Merci, Charon.

Je lui te dis son gage, la fameuse pièce mais celui-ci la déclina.

- Pour une autre fois. Dit-il en s'éloignant de moi.

Je me retrouvais à nouveau seule, dans le noir. Je me retournais, regardant autour de moi à la faible lueur que m'offrait le bateau de Charon. La lumière disparut. Mon coeur se serra dans ma poitrine quand soudain, une flamme apparut devant moi. Une flamme, une simple flamme qui dansait gaiment. Je m'en approchais et en vis une seconde, puis une autre jusqu'en haut d'une falaise, devant une porte. Je pris mon petit courage et montais jusqu'au grand porche en fer noire. Je rajustais ma toge blanc sale, avant de vouloir toquer. Pourtant, alors que ma peau allait toucher le portail, cet dernier s'ouvrit dans un bruit de rouillé. Le grincement était indescriptible, mais quand il eut fini, j'entends une voix forte et autoritaire dire mon prénom.

- Irène.

Je m'avançais lentement, passant devant une grande arche où se reposait manifestement un canidé. Je dis bien manifestement car je ne voyais que l'arrière de l'animal. Ce dernier poussa un grognement sourd et bailla en même temps. Je sursautais, surprise et reculais d'un pas avant de voir une tête se redresser. Je contemplais le chien, avant de voir une seconde puis une troisième tête apparaître. Je me reculais lentement, sans faire de gestes brusque alors que les trois têtes venaient me renifler de partout. Je ris doucement, chatouilleuse. L'une d'elles glissa sur ma main et je la caressais doucement, la seconde avec mon autre main et je retrouvais la troisieme face à moi. Elle me regardait, avant d'approcher sa truffe de ma joue, y apposant une grosse lechouille baveuse. Je ris doucement et m'osais a embrasser sa truffe, ce qui fit reculer la tête de surprise. Mais alors qu'elle allait revenir à la charge, la voix tonna à nouveau.

- Couché, Cerbère.

Dans un couinement tres triste, le chien s'écarta de moi et recula, se remettant à sa place.

- Irène.

Je sursautais à l'entente de mon prénom et approchais à nouveau de la voix.

Un homme était assis à son bureau. Il avait l'air sérieux, sévère et extrêmement concentré, le regard caché derrière de petites lunettes rectangulaires. Il avait une grande plume à la main, bleu nuit, et écrivait sur un long parchemin.

- Entres. Dit-il doucement sans me regarder.

Je m'avançais et m'arrêtais près du bureau, devant. Je ne savais pas comment réagir. Il avait une aura sombre autour de lui, sa presence me fit frissonner.

- Assise.

Je regardais derriere moi et vis une petite chaise apparaitre. Je m'y installais doucement, jambes placées correctement et mains croisées dessus. L'homme posa délicatement sa plume, retira ses lunettes et s'attrapa l'entre-yeux avant de soupirer fortement.

- Dure journée. Laissais-je sortir de mes lèvres.

L'homme eut un petit sursaut d'amusement et lâcha son visage pour le relever vers moi. Ses yeux noirs plongèrent dans les miens, je ne pus rien dire ni faire. Un fin sourire se dessina sur ses lèvres.

- Vous êtes morte aujourd'hui.

- Je le sais bien.

- Et c'est à moi que vous venez de dire "dure journée" ?

- Je ne risque plus d'en vivre. Soufflais-je en serrant mes mains l'une contre l'autre.

- Hm. Intéressant. Savez-vous pourquoi je vous ai demandé de venir ? Savez-vous déjà qui je suis ?

Je secouais la tête doucement et baissais le regard sur ses mains pales.

- Je suis Hadès. Dieu des Enfers. Celui des morts également.

- Charon m'a dit que vous ne souhaitiez pas jeter mon âme dans le Styx. Pourtant... C'est là que vous y envoyez les gens comme moi, non ?

- Comme... Vous ?

- Inutile. Sans intérêt.

Hadès tapota sur la table de ses longs doigts fins.

- C'est comme ça que vous vous voyez ?

- Que je me suis toujours vue. De A à Z.

- Et pourtant vous voici devant moi. Et il n'y a pas de précédent.

Je relevais mon visage lentement vers lui. Son regard ne me lâchait pas, si bien que je rosis. Hadès inclina la tête vers le côté.

- Vous êtes un mystère, pour moi. Vous n'avez effectivement rien fait durant votre vie. Je le conçois, c'était un désastre du début à la fin. Mais votre aura... Votre aura est si... Lumineuse... Je n'ai jamais rien vu de tel.

- Q... Qu'attendez-vous de moi ? Parce que je n'ai pas réponse à "pourquoi mon aura est lumineuse?"

- Je me doute. Mais.. Je voudrais vous donner une chance. Une chance que je ne donnerais qu'une seule fois. Une chance que personne d'autre n'aura.

- Je suis toute ouïe, je vous écoute.

- Je voudrais que vous travailler pour moi.

Live in the UnderworldOù les histoires vivent. Découvrez maintenant