Pour mon pays (Attal x Bardella)

1 : Se quitter en bons termes

Jordan Bardella aurait pu être un homme ravi de voir son parti obtenir une majorité, certes relative, à l'Assemblée Nationale, au matin du 8 juillet 2024. Mais il était davantage préoccupé par le discours fait par le Président de la République française la veille, qu'il ne cessait de repasser sur la vidéo YouTube officielle qui relatait ce discours.

—  Gabriel Attal restera le Premier ministre de l'Assemblée nationale, récitait la voix lente et un peu agaçante au goût de Jordan, et pour suivre la tradition, je nommerai ensuite Jordan Bardella Premier ministre le 8 septembre, une fois ces compétitions toutes conclues.

Pour un homme de 28 ans, obtenir le poste très convoité de Premier ministre dans le gouvernement français était un excellent pas en avant pour sa carrière politique. Mais lui avait pressenti, dès que Macron avait annoncé la dissolution de l'Assemblée Nationale un petit mois plus tôt, que c'était son parti qui saurait s'imposer dans l'hémicycle, et qu'il en serait le Premier ministre.

Si bien qu'entendre qu'il lui faudrait attendre, qu'il lui faudrait patienter parce que Gabriel Attal garderait son poste au cours de l'été, c'était une frustration inattendue et une incompréhension sincère. 

Que le Président ne souhaite pas davantage déstabiliser le gouvernement alors que de grands évènements sportifs allaient se tenir en France, cela pouvait être légitime. Mais dans ce cas, pourquoi avoir dissolu l'Assemblée juste avant ces évènements ? N'aurait-il pas gagné à le faire après les Jeux Olympiques ? D'autant que d'après des interviews de Jean-Michel Macron, père du Président, son fils réfléchissait à dissoudre l'Assemblée depuis au moins deux mois, son acte n'était pas purement une réaction vis-à-vis de la secousse qu'avaient été les élections européennes.

Jordan tapotait machinalement contre le clavier de son ordinateur sans en enfoncer une touche, songeant avec ennui que la gauche avait été efficace à empêcher une majorité absolue du RN. En se retirant automatiquement des triangulaires où leurs candidats arrivaient en troisième position, imposant ainsi des duels face desquels les discours de faire barrage à l'extrême droite pouvaient gagner en poids. Éviter la dispersion des votes avait retiré à son parti un bon nombre de sièges, le presque trentenaire en était certain.

Il se réjouissait tout de même de la situation. Avec 225 sièges à l'Assemblée,  le Rassemblement National aurait peu de difficultés à faire passer les lois qui intéressaient le parti, celles-ci même inscrites sur leur programme des législatives. Si le NFP pensait pouvoir rivaliser, il suffirait d'attendre certains jours avec assez d'absents dans les rangs de la gauche pour faire voter les lois.

— Encore devant ton ordi ? intervint Nolwenn Olivier en arrivant dans la pièce. Macron t'a peut-être coupé l'herbe sous le pied pour l'été, mais il ne pourra pas te refuser le poste longtemps, tu le sais.

— Oui, enfin Attal reste au pouvoir en attendant, et il faudra que je me coltine sa tête dépitée pour ces deux mois du coup. Il va essayer d'attirer ma sympathie pour que je laisse l'affaire couler, il essaye toujours d'attirer la sympathie de tout le monde. Mais ça devrait être moi à présent le Premier ministre, pas lui.

— Écoute, tu n'étais pas venu pour ça de toute façon, pas vrai ? Arrête de te tracasser, si ça se trouve, Macron va même te donner le poste le jour de ton anniversaire, pour le sens du spectacle. Aide-moi plutôt avec tes affaires, je ne sais plus lequel de nous deux avait acheté ces rideaux, indiqua-t-elle en pointant ceux de la pièce.

— Ils sont plutôt hideux, ils devaient déjà être là à notre arrivée non ?

En apparence il était concentré sur la question de son ex-compagne, mais le presque trentenaire songeait surtout que les rumeurs ayant deviné la rupture dans le couple s'étaient faites entendre bien trop vite à son goût. Il n'appréciait pas que son image soit troublée au moment où il aurait dû gagner les portes de Matignon, mais puisque ni lui ni Nolwenn n'avaient parlé de leur rupture, tout cela restait au stade de rumeurs pour le reste du pays.