Black Sabbath – Children of the grave
Tarantismo. La pulsion incontrôlable de danser.
Autrefois, durant l'Époque moderne, elle était considérée comme une forme d'hystérie ou de crise psychique. Ce qui, entre vous et moi, est tout à fait absurde.
En quoi est-ce délirant de se libérer de ses démons par la danse ?
Contrairement à ce qu'on a tendance à dire à mon sujet, je ne suis pas folle. J'éprouve seulement le besoin irrépressible de m'abandonner corps et âme à la mélodie électrique qui envahit mon salon. Ce n'est pas de l'hystérie. Enfin... si quelqu'un m'épiait en cet instant par la porte-fenêtre, il verrait une jeune femme ravagée se déchaîner dans un rythme effréné. On pourrait plaider que je ne danse pas plus que je combats des forces invisibles. J'ai déjà renversé un vase et je me suis cognée deux fois contre le canapé. Mais non, je ne sombre pas dans la folie.
Ceci est un épisode d'hystérie contrôlée, merci de vous inquiéter pour moi.
Le disque termine sa course. Malgré le silence soudain, mon corps refuse de s'arrêter. Toujours en transe, je sautille jusqu'au tourne-disque. Je replace le vinyle dans sa pochette et explore la collection spectaculaire qui prend la poussière sur la bibliothèque. Mes doigts survolent The Clash, Pink Floyd, Queen, The Rolling Stones, pour finalement s'arrêter sur Black Sabbath.
Voilà cinq jours que je suis piégée ici comme une sirène dans une piscine. J'ai déjà parcouru tous les disques de la plus haute étagère. Il m'en reste encore quatre à découvrir. J'ignore qui habitait dans cette baraque avant que je débarque, mais je ne peux qu'applaudir ses affinités musicales.
Le rock parle à mon âme.
Children of the grave gronde dans le salon et je me mets à sauter sur place, affranchie de toutes mes inhibitions. Je ressens la mélodie jusqu'au creux de mes os. Je suis emportée par l'énergie brute qui jaillit de chaque note. La batterie fait vibrer mon être. Le solo de guitare galvanise mes sens. Je danse ma rébellion, l'une des rares qui aient vu le jour sans m'exploser à la gueule.
Putain, je veux me barrer d'ici.
Les mains plaquées contre mes tempes en sueur, je fixe la porte d'entrée comme si je pouvais brûler un trou en son centre. Hier soir, j'ai osé m'aventurer dans le jardin pour la première fois depuis mon arrivée. Ouais, je sais, je mérite une médaille. Mais ce n'est pas tout. Quand j'ai compris que personne n'allait m'arrêter, je suis allée jusqu'à escalader la clôture en pierre. Je me suis servie d'une échelle rouillée trouvée dans les hautes herbes du jardin, et je me suis perchée sur l'enceinte surélevée.
J'allais sauter, vraiment. Au pire, j'aurais écopé d'une jambe cassée (pas grave, j'en ai une deuxième). Hélas, je n'ai pas pu m'y résoudre. Mon désir ardant de liberté s'est évaporé à la seconde où mon regard s'est posé sur l'horizon. Où pourrais-je bien aller, une fois de l'autre côté ? Comment survivrais-je sans argent, sans pièces d'identité ?
Par où commencer pour retrouver ma mère ?
Si je rassemblais le courage de me tirer de ce trou perdu, j'aime à rêver que je conquerrais le monde. Vraiment. Je deviendrais poète et ferais sangloter des cœurs. Je deviendrais danseuse pour Olivia Rodrigo. Non, mieux encore ! J'apprendrais à jouer de la guitare électrique comme une putain de rockstar. Je poserais ma voix suave par-dessus pour créer un contraste iconique à la Joan Jett. J'accepterais même de me mettre au triangle, si seulement je pouvais me casser de là !
Au secours, j'ai besoin d'air.
Ma soif de liberté renaissant en moi, je sors dans l'avant-cour plongée dans la pénombre. La lune a déserté son poste, alors j'avance à l'aveugle en direction de l'unique issue. Mes mains tâtonnent le portillon à la recherche de la poignée, lorsqu'une lumière m'éblouit.

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Ravagés (Sous contrat d'édition)
Romans| 𝘿𝙖𝙧𝙠 𝙍𝙤𝙢𝙖𝙣𝙘𝙚 | Maddie n'a toujours souhaité qu'une chose: la liberté. Alors quand Rob l'enferme dans une maison au beau milieu de la campagne anglaise pour sa protection, elle en rêve plus que jamais, détestant se sentir comme un animal...