4. Petit faon

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Decay – Killswitch

Psychopathe. Les tarés qui croquent dans les carrés de chocolat à plus de 80 % de cacao sans ciller. Les gens qui dégustent leur pizza avec une fourchette et un couteau. Les zinzins qui lisent la dernière phrase d'un livre avant même d'avoir entamé le premier chapitre.

Accessoirement, ce terme désigne aussi les déséquilibrés qui rôdent la nuit à la recherche d'une proie facile. Vous savez, un peu comme le type que j'ai surpris à ma fenêtre il y a trois soirs. Il s'est tenu là cinq secondes avant de s'évaporer en un battement de cils.

J'ai d'abord pensé à un jeu de reflet dans la vitre, mais sa silhouette imposante était trop précise, ses contours trop définis pour n'appartenir qu'à une simple chimère. Même après son départ, l'écho de sa présence est resté gravé contre mes paupières, recouvrant mon épiderme de frissons chaque fois que je les fermais. Il m'a empêchée de me concentrer sur Love Island, le con. Maintenant encore, chacun des tambourinements de mon cœur attise une haine incandescente à son égard.

Death on my mind with a clip full of shell, fredonné-je en agitant mon pied en rythme avec la musique.

Les paroles vibrent en harmonie avec mon état d'esprit actuel. Je veux la mort. Celle du viking, qui rêve de la mienne, et celle de ce petit merdeux de Billie, qui m'écœure à un niveau viscéral. Mais j'ai le sens des priorités, et je réclame d'abord celle de l'enculé qui m'épie depuis les ombres comme un couard.

Sérieux, je n'ai pas la patience pour ses jeux psychologiques.

Il a rangé mon salon, débarrassé ma vaisselle et remis mes meubles en place. Il a même déposé un bouquet de marguerites sur la table de ma cuisine. Quel genre de stalker fait ça ? S'il veut me violer, me flinguer ou me heurter d'une quelconque manière, qu'il essaie sans détours.

Je suis prête à le recevoir, ce bouffon.

Allongée sur mon lit, j'inspire l'air glacial de cette nuit d'automne. Il s'infiltre par la fenêtre ouverte et caresse la peau de mes bras nus. Pour me changer les idées, je lis les Hauts de Hurlevent, ainsi que les annotations que Glabby a laissées dans les marges.

«H. est un connard rancunier, consumé par la haine. Il nous montre que l'affection, alimentée par l'obsession, peut empoisonner chaque geste, chaque mot. De telles âmes peuvent trouver l'amour, mais le devraient-elles?».

— Eh bah, Glabby, murmuré-je tout bas. Je me demande si tu parlais que de Heathcliff...

Je doute que l'intéressée m'ait entendue, mais qui sait comment fonctionne l'au-delà ? Pas moi. Peut-être qu'un lien magique se créer chaque fois qu'un vivant évoque un mort. Peut-être même qu'elle en a ras le cul de mes conneries et qu'elle veut juste célébrer sa nuit éternelle avec ses êtres chers sans que je vienne l'emmerder toutes les cinq secondes.

Oui, et bien désolée, Glabby. Dans le genre connasse, je suis plutôt obstinée.

Je m'interromps dans ma lecture, songeant un instant à ma mère avec un pincement au cœur. Se réveille-t-elle chaque fois que je pense à elle ? Je n'ai même pas la certitude qu'elle repose en paix. Il y a des soirs où c'est plus simple de le croire, quand c'est trop douloureux d'imaginer qu'elle m'a abandonnée pour se construire une vie meilleure.

Une vie loin de moi.

Je n'avais que quinze piges, mais je me sais coupable de son départ. Je l'ai poussée à bout. À l'époque, je commençais à m'affirmer. Ça passait par mon style vestimentaire, mais aussi par la musique que j'écoutais à fond dans la caisse pour couvrir ses histoires chiantes de boulot. Je séchais les cours pour taguer la façade du lycée, et j'affinais de jour en jour l'art des réponses sarcastiques. Et la nuit, je me barrais en douce pour fumer des pétards avec mes copines. Pas de quoi fouetter un chat sur la place publique. Non, elle a atteint son point de non-retour quand elle nous a surpris dans ma chambre.

Ravagés (Sous contrat d'édition)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant