5-1. Kate

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18 mois, 78 semaines, 546 jours depuis que j'ai vu Sam plonger aux enfers et tout autant de jours que je revis la scène chaque nuit.
Je soupire en remettant ma veste chez le tatoueur où je viens tous les lundis ajouter une étoile sur mon épaule. Mon ciel étoilé progresse semaine après semaine, recouvrant un peu plu mon épaule et descendant à cheval sur ma clavicule, mon omoplate en arrière et vers mon bras. Chaque étoile marque l'instant, le temps qui s'écoule sans lui. Chaque étoile me rappelle que j'ai échoué. Je sors de la boutique en me frottant les mains, en regardant mon annulaire gauche marqué à l'encre par une bague de cette promesse, un anneau ancré à ma peau, de joncs entrelacés desquelles se détachent en calligraphie les lettres S et W. Je suis à toi, je te l'ai promis ... je prie chaque jour que tu me reviennes. Mais plus le temps s'écoule, plus mon espoir s'amenuise. Je suis seule.
Après avoir remué ciel et terre, Dean et Billie ont fini par accepter la promesse de Sam, rien ni personne ne pouvait nous aider. Et alors que j'ai vu mes amis s'installer dans une charmante maison, j'ai décidé de les laisser goûter à leur vie de couple normal déjeunant avec leurs voisins et de m'éclipser. Je ne pouvais retourner à ma ville, parce que de toute façon rien ni personne ne m'y attendait mais surtout parce que je suis sensée être morte des mains du même serial Killer qui a pris Collen.
J'ai donc pris un bus un matin, me faisant traverser les états pour arriver au Texas, à San Antonio. J'ai laissé mon téléphone derrière moi avec un lettre à l'intention de Dean et Billie. J'ai tiré un trait sur Kate Smith même si au fond de moi je suis et resterai Bagheera.
Ce fut difficile au début, arrivée sans un sous, avec un seul bagage, sans Cv à présenter. J'ai dormi au motel avec les quelques économies qui me restaient et puis je me suis remise au parkour, au début comme exutoire puis un jour j'ai été repéré par le gérant d'une salle qui m'a demandé d'initier ses élèves, donc je suis devenue professeur de parkour. J'ai une salle dédiée  dans le bâtiment de la salle pour m'exercer et leur apprendre à être aussi agile qu'un serpent, aussi léger qu'une plume. Ça ne me permet pas de vivre décemment, mais ça me permet de louer ma chambre au motel plusieurs nuits de suite. Et lorsque la nuit tombe, que je sens que les larmes me brûlent la rétine et que rien ne peut les arrêter, pas même de voler à travers la cime des gratte-ciels, je sors, boire pour oublier. J'écume les bars et les boites, me débrouillant pour ne pas payer mes consommations, mais laissant toujours le pauvre prétendant en plan.  Aucun autre homme ne touchera ce qu'il y a sous mes vêtements, je m'en suis fait la promesse.
Ma peau nouvellement marquée, je me mets en route vers la salle pour donner un cours. 2 adolescents de 16 et 17 ans, plutôt agiles et qui me demandent sans cesse quand quitterons nous la salle d'entraînement pour réellement s'entraîner.
Après deux heures intensives, je me sépare d'eux et repasse par le motel pour me doucher et me changer.
Je cerne mes yeux de noir, mon maquillage est bien plus appuyé que par le passé, avec mes longs cheveux noirs , heureusement qu'ici le soleil frappe et que me activités extérieures me permettent de prendre des couleurs sinon je pourrai faire peur.
C'est donc ça ta vie... regarde toi...
Je sens les larmes faire tressauter mes paupières, je contracte la mâchoire et me recroqueville contre la carrelage froid au joins moisis de cette salle de bain où il est impossible de circuler.
Si je mourrai ici et maintenant, qui s'en soucierait ?
Je regarde l'intérieur de mon poignet où est gravée la constellation de la grande ours, autre témoin de mon obsession. Je me sens tellement ridicule de m'accrocher à ce passé, qui au final, n'a tenu que quelques mois de ma vie. Mais c'étaient les mois les plus intenses, ceux qui m'ont retourné les tripes et le cœur. Ce dernier que je pensais incapable d'aimer, a su se manifester, si seulement il était resté impassible.... Je n'en serai pas là aujourd'hui.

Je me relève et avance dans la chambre, mon estomac crie famine mais je n'ai pas les moyens de me faire plus que des pâtes instantanées. Je passe rapidement un jean noir et ma veste à capuche pour me rendre à la supérette la plus proche.
Je marche dans la rue, le soleil se couche, et j'ai le sentiment étrange d'être suivie. Je marque un arrêt et me retourne: personne. Je me remets en route mais cette impression de ne pas être seule me poursuit. Je tourne dans une ruelle et m'élève silencieusement via une échelle de secours d'un immeuble pour observer ce qui se passe en contre-bas. Un homme s'avance à l'entrée de la ruelle. Je crois rêver, la stature, la taille, la démarche... Sam...
Non c'est impossible, c'est mon cerveau qui me joue des tours ! Je veux tellement le retrouver que maintenant j'imagine qu'un gros balourd qui me suit peut être lui. Fais toi une raison! Il est enfermé dans une cage en enfer! Ma raison me hurle de me raisonner mais mon cœur tape si fort dans ma poitrine que j'ai l'impression de plus pouvoir respirer. Je ne le quitte pas des yeux, il est trop loin et il fait trop sombre pour que je discerne son visage. Il finit par faire demi-tour et rebrousser chemin.
Je prends le temps d'atterrir et me décide à rentrer au motel en empruntant le deuxième chemin, mon chemin, celui à des dizaines de mètres du sol.
À peine ai-je franchi la porte que je cours prendre une douche froide et fond en larme sous le jet d'eau. Il faut que ça s'arrête ! Je n'en peux plus! Je ne peux plus vivre comme ça. Lorsque je coupe l'eau j'entends qu'on frappe à ma porte. Peut être le proprio du motel qui veut me faire libérer les lieux.
Je me rhabille à la hâte avant d'aller ouvrir et reste scotchée par la présence de mes visiteurs.

BagheeraOù les histoires vivent. Découvrez maintenant