5. 20 juillet 2021

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La chambre est totalement plongée dans le noir et pourtant, il est quatorze heures. Les stores ont été baissés. La lumière ne filtre pas, mais le soleil qui cogne contre les vitres surchauffe la pièce. C'est une véritable serre, à l'exception qu'aucune plante ne s'épanouit dans la moiteur de l'air. Un homme seulement dort. Il est étalé sur le matelas, sans un duvet pour recouvrir son corps presque nu. Il a du mal à respirer et parfois, quand il remue, il gémit.

La sieste ne se prolonge pas. Max se réveille en grommelant. Il n'ouvre pas tout de suite les yeux.
Il les garde fermés en priant pour que le mal de tête se dissipe. C'est raté. Le jeune homme passe alors ses mains sur son visage. Il frotte vivement ses paupières, puis ses tempes. La douleur ne diminue pas. Il ne lui reste plus qu'une solution: le flacon de médicaments qu'il a laissé sur sa table de nuit. Max laisse tomber se main à sa droite. Il tâtonne jusqu'à toucher le plastique de la boîte. Les yeux toujours clos, il dévisse le couvercle et récupère une pastille. Elle finit au fond de sa gorge sèche, sans qu'il ne la rince avec de l'eau.

Max n'est pas un tendre. Quand il prend le départ d'une course, il sait qu'il risque sa vie. Il ne s'en plaint pas. Il n'était pas né quand Ayrton Senna s'est tué, mais son père lui a raconté la tragédie peu après qu'il ait commencé le karting. Il s'est même forcé à regarder les images des dizaines et des dizaines de fois. Et quand Jules Bianchi est décédé, quand Charles a porté son cercueil, il n'a pas pu s'empêcher de s'imaginer lui-même étendu dans cette longue boîte en bois. Il s'est désensibilisé pour être encore plus téméraire, encore plus intraitable sur la piste. En revanche, ce à quoi il ne s'est pas préparé, ce sont les séquelles d'un accident.

51G. Il s'est crashé plus d'une fois, mais jamais aussi violemment qu'à Silverstone. Propulsée par le contact avec Lewis Hamilton, la Red Bull a filé jusqu'à s'encastrer dans une épaisse barrière. La monoplace a absorbé le gros du choc, mais Max a encaissé le reste. Ballotté, puis stoppé net, il doit sa vie à la musculature de son dos et de sa nuque. Son cerveau s'est écrasé dans sa boîte crânienne. Il s'est éteint l'espace de quelques secondes. Les médecins ont dit qu'il avait perdu connaissance. Max les croit. Il n'a aucun souvenir de l'accident. Il se rappelle seulement de la gentillesse et de la douceur des commissaires, de leurs gestes et de leurs voix. À l'hôpital, où il a été emmené pendant que les autres pilotes finissaient la course, il a vu les scènes de liesse qui ont suivi la victoire de Lewis. Et pour la deuxième fois de sa vie, Max a eu envie de tuer.

Quarante-huit heures sont passées depuis l'accident. Max les a vues défiler depuis son lit. Il ne se lève que pour aller aux toilettes ou manger. On lui a diagnostiqué une grave commotion. S'il veut être au départ de la prochaine course, il doit éviter la lumière, la lecture, les écrans, ... en gros, tout ce qui pourrait le distraire. Il reste allongé pendant des heures à regarder le plafond de sa chambre. Son coach Bradley vient le voir le matin. C'est lui qui amène les repas préparés par le nutritionniste et qui fait la lessive. C'est lui aussi qui masse sa nuque endolorie. Voilà pour le quotidien. Le reste n'est qu'attente.

Max en viendrait presque à regretter la présence de Kelly. Même si elle ne l'aimait plus autant qu'à leurs débuts, elle aurait pris soin de lui entre les shootings et les déjeuners avec ses copines. Elle aurait posé une tasse de thé sur sa table de nuit, ouvert la fenêtre de la chambre pour aérer et peut-être embrassé son front pendant sa sieste. Allongé sur le dos, le jeune homme se force à compter les jours qui ont passé depuis le départ de la Brésilienne. Cinquante-huit jours. Disons deux mois. Deux mois de souffrance et de solitude. Max n'est pas remis de la rupture.

Y penser lui donne envie de se fracasser le crâne contre un mur. Il parait que la dépression est l'une des conséquences de la commotion. En plus d'être abimé et fatigué, le cerveau est déréglé. Max en a plus qu'assez de gamberger. Il délaisse son lit et enfile un short pour aller dans la cuisine. Une tarte à la pomme l'attend sur la table. Brad l'a déposée le matin même. Le pilote se sert d'un couteau. Au moment où il l'abaisse sur la pâte au beurre, la sonnette de l'appartement retentit.

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