Elisa de almeida.

40 0 0
                                        

Elle regarde dans notre direction. Les filles fixent le grand écran, moi aussi.
Je me mets à penser que, si elle ne regarde pas sa pote tout de suite, elle va finir par se sentir seule.
Quand enfin elle tourne la tête vers elle, elle l'imite.
Elle se retourne...
Et mon cœur rate un battement.

Je vois mon nom et mon numéro dans son dos.

Je ne sais pas quoi dire, ni quoi faire.
Une chose m'inquiète : que les médias s'en prennent à elle.
Elle peut aimer le numéro, après tout. Mais mon nom ?
Non... j'avoue, elle ne le porterait pas en chignon plaqué si elle n'aimait pas aussi mon nom.

Je jette un coup d'œil à Sakina, qui me dévisage avec un sourire malicieux.
— "Non. C'est juste une coïncidence."
— "Beaucoup de coïncidences pour un seul soir, hein Elisa ?" réplique Wendy en me fixant.

Je me lève, reprends mon téléphone et le pose sur mon sac.
On descend sur la pelouse.
On chante la Marseillaise.
Le match commence.

116 minutes plus tard...

C'est une blague.
Déjà qu'on me sort à la 102e minute... et en plus les Brésiliennes marquent ?
On a perdu.
Quart de finale. Fin de l'aventure.

Je suis sur mon siège, les bras croisés, affalée.
Je regarde le grand écran. Toutes les minutes.
Je ne sais même pas pourquoi. Peut-être qu'une part de moi espère qu'elle me voie.
Ou peut-être que c'est moi qui veux la voir.
Je n'en sais rien. Je ne la connais presque pas.

Je sais juste qu'elle est née en novembre 1998, qu'elle est française mais joue en Angleterre — ça, je comprendrai jamais — qu'elle a une petite sœur et une meilleure amie...

C'est déjà pas mal.
Mais bon, ça reste raisonnable. Pas de quoi m'alarmer.

Je retombe dans mes pensées... sur elle.
Et cette fois, c'est sur Instagram.
Elle m'a suivie. Forcément, faut bien stalker un peu.

Je regarde ses stories à la une.
Des voyages, beaucoup de voyages.
Le Portugal ! Validé.
Sa famille, ses parents, sa sœur.
Sa meilleure amie.
Et elle... sur ses patins.

Elle danse. En compétition.
Une photo d'elle à 15 ans.
Le carré lui allait si bien. Elle devrait le refaire.

Je tombe sur la story qu'elle vient de poster :
Une photo du stade vue d'en haut, avec écrit en grand :
« Allez nos Françaises ! »

Je souris. C'est gentil de sa part de nous soutenir.

Sakina s'approche de moi.
— "Tu fais quoi ?"
— "Je me distrais. Ce match m'a épuisée, agacée, tout ce que tu veux."

J'appuie pour voir la photo suivante.
Celle où elle montre fièrement son maillot, diffusée sur l'écran géant un peu plus tôt.

— "Ramène-toi. On a un invité surprise dans les vestiaires, apparemment..."

Je la regarde, l'air morose. Elle repart, impassible.
Je range mes affaires et me dirige vers les vestiaires.

C'est compliqué de se réjouir après un match pareil.
On a été nulles. Vraiment.
Je ne serais même pas surprise de voir passer des articles qui diraient : « L'équipe de France a joué comme des patates. »

Je traîne les pieds.
Et là, je la vois.

Adossée au mur, à l'extérieur des vestiaires, une fille sur son téléphone.
Je la reconnais. Maeva.

On se croise du regard.
Elle se redresse et me sourit.
Je lui souris à mon tour, chaleureusement, et m'approche pour lui serrer la main.

— "Excuse-moi de te poser la question... Tu es bien Maeva, la meilleure amie de Marguerite ?"
— "Oui, c'est moi."
— "Heureuse de te rencontrer."

Mais à peine ai-je prononcé ces mots que je percute :
Si sa meilleure amie est ici... alors Marguerite est à l'intérieur.

Mes yeux s'écarquillent.
Je lâche vite sa main, m'excuse, et file rejoindre le reste de l'équipe.
Je cours presque.

En entrant, je la vois.
Une chevelure rousse. Cette chevelure.

J'ai le souffle coupé.

Elle est là.
Face à moi.

Même de dos, je le sens.
Le sol s'effondre sous mes pieds.

Mais pourquoi ces frissons ? Pourquoi je me sens si... impuissante ?

Elle se retourne.
Nos regards se croisent. Elle se fige.

Sa peau pâle contraste avec mon teint un peu hâlé.
Ses joues rosées — sans doute de nervosité — lui font un blush naturel.

J'ai presque envie de lui pincer les joues.

Un long regard s'installe entre nous.
Et je sais, au fond, que ça ne va pas s'arrêter là.

Elle se redresse légèrement.
On fait la même taille.
Puis, elle brise ce contact visuel... en regardant mes lèvres.
Et remonte ensuite vers mes yeux.

Je fais pareil : je détourne les yeux, mais je lui souris, et je tends la main.

Elle me la serre, hésitante.
Mais elle le fait.

— "Bonjour."
dit-elle, gênée.
— "Bonjour."
je lui réponds. Encore plus troublée depuis que j'ai regardé toutes ses stories Instagram.

— "Vous allez bien ?..." me demande-t-elle, un peu inquiète.
— "Oh oui."

Je lui lâche la main et vais m'asseoir.
Je regarde autour de moi. Heureusement, les filles sont trop déçues pour remarquer ce qui vient de se passer.

— "Bon..." commence-t-elle.
Sa meilleure amie entre dans les vestiaires à son tour.

— "Avant tout, bravo. Vous n'avez pas lâché.
C'est top de vous rencontrer dans ce genre de circonstances, même si je m'y attendais pas du tout.
Je pensais juste rester dans les gradins, regarder le match, réagir... et repartir ! Haha !"

Elle rigole. Son rire est chaleureux.

— "Mais au lieu de ça, je me retrouve avec vous dans les vestiaires.
Je vous avoue que niveau conseils, c'est compliqué...
Je préfère la glace au gazon.
Mais je tiens quand même à vous féliciter.
Vous avez été très soudées.
Et je pense qu'Hervé Renard est fier de vous, non ?"

Elle le regarde.
Il hoche la tête, puis ajoute :

— "Oui, et puis... c'est pas comme si c'était la première fois qu'on se faisait battre."

Aïe.
1–0 pour Hervé.

Je lève les yeux vers Marguerite.
Son visage est crispé.
Elle aussi a senti la pique.
Et c'est dur à avaler, même pour elle, je crois.

Elle est douée.
Mais elle ne cache pas ses émotions.

Mais bon... elle est toujours aussi ravissante.

"Dois-je te pardonner?..."Où les histoires vivent. Découvrez maintenant