27. Petit faon

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Where Did You Sleep Last Night (solo acoustic demo) – Nirvana

Flâneur. Quelqu'un qui vagabonde dans la ville afin de l'expérimenter. En errance volontaire.

— T'as la moindre idée d'où on va ? demandé-je à l'intention de Chloé.

Je l'ai croisée dans la cage d'escalier de l'immeuble. Elle rejoignait sûrement Tristan pour la soirée, mais elle a changé ses plans pour m'accompagner promener. Aujourd'hui, ses cheveux sont relevés en un chignon brouillon. Elle porte un pull gris oversize qui lui tombe au milieu des cuisses.

— Peu importe, rétorque-t-elle en passant son bras dans le mien. Si la vie t'offre des citrons, fais une citronnade. Puis trouve quelqu'un à qui la vie a offert de la vodka et organisez une méga teuf ensemble.

Aucun rapport avec ma question, mais pourquoi pas. Dans sa vision de l'univers, la vie s'apparente à une fête, et j'admire profondément son état d'esprit. Le problème, c'est que si la vie est une fête, alors je suis la piñata.

— J'aimerais être aussi insouciante que toi.

— On se ressemble plus que tu ne le crois, choupette.

Choupette. Un surnom innocent, mais il n'existe qu'une autre personne au monde qui m'appelait ainsi : ma mère. Inévitablement, j'ai le sentiment d'asphyxier en repensant à elle. Je suis libre de me balader à ma guise, néanmoins je ressens toujours la même détresse dans mon cœur. Je suis convaincue que tous mes tourments s'évaporeront quand je l'aurai retrouvée, mais...

— Arrête de ruminer, me coupe Chloé. La vie est trop courte pour être triste.

Mon amie a raison. Chassant ma mère de mon esprit, je lui demande si elle connaît le coin.

— Plus tant que ça, rétorque la blonde. Je sais juste que les boutiques ferment bientôt, donc il faut se bouger si on veut s'amuser un peu.

Ni une ni deux, nous bondissons sur le trottoir comme des gamines qui pénètrent dans un parc pour enfants. L'air frais de ce début de soirée me galvanise. L'idée que je peux aller partout m'étourdit de bonheur.

Partout, putain.

Le soleil vient de se coucher, mais la rue bourdonne de vie. Tout semble... plus. Le sol est plus ferme sous mes Doc Martens, les lampadaires plus lumineux, les effluves de nourriture provenant des restaurants plus prégnants de possibilités. Je me sens... vivante. Électrique.

Alors que je retrouve peu à peu mes repères après plus d'un an dans les redrooms, mes cheveux se dressent sur ma nuque. Je me retourne d'instinct, m'attendant pleinement à trouver une menace à quelques mètres de là, mais non. Je ne vois que des gens vaquant à leurs occupations, inconscients de ma présence.

— Tu viens ou t'admires le paysage ? me presse Chloé.

Ignorant la sensation de lourdeur sur mes épaules, j'attrape sa main et, ensemble, nous remontons la rue en sautillant. Nous rions sans raison particulière. Les passants nous dévisagent comme si nous sortions de l'asile, mais je les emmerde. Ils ne connaissent pas les redrooms, ils ne connaissent pas Rob, et ils négligent ce que c'est de simplement respirer.

Ils tiennent leur liberté pour acquis alors que je redécouvre la mienne.

— Viens, on rentre ici !

— Oh, j'adore cette boutique !

Les portes s'ouvrent automatiquement à notre approche. Aussitôt, un bouquet de parfums floraux me frappe l'odorat. Je serpente entre les clients pour circuler dans le magasin, touchant tout ce qui attire mon regard du bout des doigts. Tandis que je compare un mascara waterproof et un classique, Chloé se manifeste :

Ravagés (Sous contrat d'édition)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant