Chapitre 1

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C'était dingue qu'on ne le croie pas, quand même. Après toutes ces années, après toutes ces épreuves et preuves quant à la pertinence de ses idées, on en venait à continuer de les remettre en doute. On lui disait qu'il partait un peu loin, qu'il laissait son excentricité parler, sa paranoïa aussi. Stiles Stilinski ne niait pas en avoir, mais lorsque le sujet était sérieux, il savait s'en défaire même s'il valait mieux – selon lui – de trop se méfier que pas assez. C'était grâce à ce tempérament un peu particulier qu'il avait survécu à tout malgré sa si simple condition humaine. Certains le jugeaient miraculés, d'autres le disaient miraculeusement chanceux. Il semblait être dans les bonnes grâces du destin, lequel ne l'épargnait néanmoins pas beaucoup. Mais ça, on n'y faisait pas beaucoup attention. C'était Stiles, il se débrouillait toujours. Puis il avait l'air de bien le vivre, alors pourquoi chercher plus loin ? En soi, il avançait, traversait la vie sans trop d'encombres – sa manière de voir certaines choses l'y aidait. L'on pourrait croire qu'à râler tout seul dans son coin, il attendait là qu'un peu d'attention lui soit accordée... Mais non. Pas de reconnaissance non plus.

La vérité, c'est qu'il avait simplement besoin qu'on l'écoute, qu'on lui fasse confiance.

- Ce mec, assena-t-il, c'est un sorcier. Un putain de sorcier !

Stiles ne lâcherait pas le morceau : on ne le ferait pas changer d'avis quant au fait qu'il était sûr et certain de ce qu'il avançait. Il n'avait peut-être pas de preuves matérielles ou photographiques, mais il considérait son instinct comme supérieur à toutes ces futilités. II ne l'avait quasiment jamais trompé.

Scott, face à lui, soupira. Les bras croisés sur son torse, il arborait un air fatigué. La journée avait été longue, certes, mais ce qui l'éreintait n'avait rien de physique. L'entêtement de Stiles, son meilleur ami, avait toujours cet effet-là sur lui.

- Stiles, on en a déjà parlé des dizaines de fois et je commence à en avoir assez de me répéter. Laisse monsieur Pinkett en dehors de cette histoire.

Le jeune homme, parfaitement agacé – et éreinté également –, leva les yeux au ciel. Pourquoi ne daignait-on pas l'écouter, pour une fois ? Il tenta de convaincre son meilleur ami et par la même occasion, la petite assemblée que constituait leur meute, d'une autre manière. Très légèrement différente de celle qu'il avait l'habitude d'utiliser.

- Scott, soupira-t-il. Je sais que c'est une ordure, je le sens. C'est viscéral.

- Je sais que tu ne l'aimes pas, mais...

- C'est pas ça, le coupa sèchement Stiles. Je le sens au fond de moi. Tu connais mon instinct, je ne me trompe pas souvent. Pourquoi est-ce que c'est si compliqué de m'écouter ? Putain, je te demande juste une chose : accepter de considérer comme viable l'idée qu'il puisse être un sorcier. Il n'y a que ça qui peut coller avec toute cette histoire.

Des sacrifices, des espèces de symboles ressemblant à des runes, le tout non loin du Nemeton. Puis ce mec, Wernardt Pinkett, il l'avait souvent vu traîner aux abords de la forêt. Un petit vieux de soixante-quinze ans qui prenait le risque de se casser la figure dans un endroit aussi mal foutu que la forêt de Beacon Hills ? Stiles n'était pas dupe – lui-même se prenait souvent les pieds dans les racines sortant ici et là. Puis c'était son voisin, un type bizarre... Vraiment pas quelqu'un dont il recommanderait la fréquentation, et pas juste parce qu'il lui avait toujours foutu les jetons. Le truc avec ce « gentil petit papi », c'était qu'il ne faisait pas parler de lui, ou très peu – jamais en mal, en tout cas. Mais Stiles avait déjà entraperçu l'intérieur de sa maison, une fois. Lui qui s'attendait à entrevoir de vieilles tapisseries aux motifs floraux et des cadres par milliers avait le souvenir d'animaux morts accrochés à certains murs et des lierres grimpants à ceux-ci.

Cette vision-là, elle datait de plusieurs années mais lorsqu'elle s'était ancrée dans sa mémoire, Stiles avait eu trop peur pour en parler. Personne n'était au courant de cette histoire, pas même son père Puis, il avait préféré, pour sa santé mentale, mettre ce détail de côté. Maintenant qu'il avait grandi et qu'il se retrouvait face à cette affaire des plus sombres, qu'il alignait chacun des maigres éléments que la meute et lui avaient pu relever... Tout lui paraissait si clair !

Le problème, c'est qu'on le regardait comme si rien de ce qu'il disait ne présentait la moindre cohérence. Comme s'il avait cédé à cette paranoïa qu'il contrôlait pourtant parfaitement bien. Au début, peut-être qu'elle avait eu un peu de pouvoir sur lui mais elle était depuis lors en retrait. Elle avait toujours été en lui, sauf qu'avec les années, il avait appris à la contrôler... A s'en servir si besoin. Or là, tout était clair à ses yeux. Le doute n'était pas permis, il le sentait.

Scott fit une moue embêtée et Stiles ne perdit pas de temps, chercha du regard un soutien, n'importe lequel. Quelque chose en lui se serra. Tout le monde le regardait comme s'il était... Pas fou, mais gênant. Il faisait trop de bruit, dérangeait par son insistance. On lui disait parfois qu'il ne comprenait pas le refus, qu'un non restait un non : sur le principe, Stiles était d'accord.

Mais il y avait des fois où il avait raison, où ignorer son jugement revenait à laisser le danger se rapprocher d'eux et caresser leurs visages d'anges du bout des doigts. Pourquoi négligeait-on sans arrêt sa vision des choses tout en sachant ce fait ? Ne s'était-on pas finalement rendu compte du fait qu'il n'était pas aussi idiot qu'on pourrait le penser de prime abord ? L'abattement qui s'abattit soudainement sur lui fit baisser les yeux de désespoir...

- Ce n'est pas qu'on ne te croit pas, intervint tristement Lydia. C'est que tu veux toujours foncer tête baisser. Tout ce qu'on te demande, c'est de te montrer un peu mesuré, de nous laisser le temps de considérer...

... L'espace d'un instant seulement.

Stiles releva vers sa meilleure amie un regard on ne peut plus déçu. Finalement, il aurait préféré qu'elle fasse comme les autres. Qu'elle ne dise rien et le juge en silence. C'était toujours mieux que de constater avec douleur le fait que tout le monde était contre lui.

Lydia ne sut comment terminer sa phrase tant le regard de l'hyperactif le perturba. Elle savait fort bien que sa demande le blessait, mais... Sans remettre sa parole en doute, elle considérait qu'il y avait une façon de faire, d'agir. C'était d'autant plus vrai dans ce genre de situations : la question étant d'ordre surnaturel, il valait mieux ne pas s'y prendre n'importe comment et surtout, ne pas foncer tête baissée.

Le seul véritable humain de la meute se retrouva interdit durant quelques secondes et l'on ne sut quoi dire pour... Calmer les choses ? Pouvait-on réellement parler ainsi lorsque rien ne s'était véritablement passé ? Stiles avait simplement exposé son idée et s'était directement heurté à des murs l'entourant de tous côtés. On le regardait, un air désolé collé au visage auquel s'ajoutait, pour certains, une once de pitié pour cette humiliation solitaire. Ce n'était toutefois pas le cas de Jackson, qui s'en fichait un peu. Il était même presque heureux qu'on le remette à sa place – à ses yeux, c'était trop rare. Une meute devait fonctionner comme une unité, or Stiles agissait comme un pur électron libre sans jamais se remettre en question. Ainsi, le kanima ne réagit pas vraiment lorsque l'hyperactif s'en alla sans mot ni regard pour qui que ce soit. S'il était vexé, tant pis pour lui. Il n'avait qu'à réfléchir. Peut-être finirait-il par se rendre compte que sa façon d'approcher les choses n'était pas la bonne... Et qu'à trop écouter sa paranoïa, il se rendait atrocement ridicule.

Eyes closedOù les histoires vivent. Découvrez maintenant