L'homme marchait dans le silence de la nuit, sa cape voltigeait derrière lui. Capuche rabaissée, les mains jointes dans les manches de sa longue robe noire, il avançait d'un pas pressé dans l'étroite rue pavée. Une pluie fine se mit à tomber pour donner à la pénombre un aspect encore plus sombre. Mais l'homme n'en avait cure. Il ignora l'eau qui ruisselait le long de sa cape et continua sa route. Il déboucha dans une nouvelle artère plus large. Plusieurs passants, vêtus de haillons crasseux malgré le crachin, s'éloignaient d'une silhouette allongée sur le sol dont le sang se mélangeait à l'eau. D'un coup d'œil, l'homme remarqua les couteaux que portaient les assassins. L'une des lames était encore colorée des résidus de leur dernière altercation.
Soudain, l'un d'eux pointa un doigt dans sa direction, et les autres esquissèrent un sourire. Ils avaient trouvé une nouvelle proie ! Mais arrivés à sa hauteur, les assaillants continuèrent dans leur lancée, et le dépassèrent comme s'il n'existait pas. Après tout, il était invisible. L'homme poursuivit sa route, quand il entendit un gémissement derrière lui. Il ne se retourna pas, mais devina que les bandits avaient accosté une jeune fille. Au son de sa voix, elle n'avait pas l'air d'avoir plus de quinze ans.
Deux d'entre eux l'avaient plaquée contre un mur pendant qu'un troisième s'approchait. Elle cria à nouveau lorsqu'elle sentit la main calleuse de son tortionnaire se poser sur sa poitrine.
L'homme ne se retourna toujours pas, il continua d'avancer. Il n'avait pas le temps de l'aider, il devait transmettre un message des plus urgents. Toute sa communauté en dépendait. Et peut-être même le monde.
Il tourna à une intersection au moment où la jeune fille poussa un hurlement à s'en déchirer les cordes vocales. L'individu arriva dans une étroite impasse au mur de briques rouges et disparut soudainement dans un nuage de poussière.
À des milliers de lieues de là, un autre nuage de poussière se forma et l'homme réapparut. Il se trouvait sur un large chemin de terre, entouré d'arbres gigantesques. La pluie tombait dru, réduisant la visibilité à une dizaine de pieds. Mais l'individu connaissait les lieux. Il avança de quelques pas et aperçut un immense portail de fer forgé. Près de l'entrée, il tendit la main comme pour le toucher, mais s'arrêta à quelques pouces. Les yeux fermés, il prononça de faibles paroles. Un déclic retentit et le portail s'ouvrit. L'homme reprit son périple, indifférent à la pluie cinglante sur son visage. Il continua, traversant un parc, jusqu'à arriver au pied d'un grand perron.
Il entreprit de gravir les marches et se retrouva devant deux portes immenses. De la même manière que pour déverrouiller le portail, il tendit la main, mais avant d'avoir pu prononcer un mot, l'un des battants s'ouvrit. Un homme se trouvait dans l'embrasure. Il était de petite taille, ses cheveux étaient bruns et coupés très courts. Il portait un épais pull de laine d'un brun terreux et un pantalon de toile d'un bleu profond, presque sombre. Dans ses mains, une torche éclairait son visiteur.
— Bonsoir, Diön, dit-il. L'Archimage vous attend dans son bureau.
Diön passa le seuil de la porte, sa tenue noire dégoulinante.
— Merci, Mias. Je m'y rends tout de suite.
Il traversa le hall de marbre et Mias afficha un rictus en voyant les traces que laissait le visiteur sur le sol propre. Diön sortit dans la cour intérieure avant de rejoindre la Haute Tour. Dans le hall, il marcha sur un cercle dessiné au sol et fut aussitôt téléporté au dernier étage, puis il frappa à la porte devant lui. Celle-ci s'ouvrit toute seule et se referma d'elle-même une fois qu'il fut entré.
Il pénétra dans une grande pièce circulaire truffée d'objets étranges. Des dizaines de livres étaient entreposés sur des étagères. Au fond de la salle se trouvait un bureau encombré derrière lequel était assis un homme penché sur une pile de parchemins. Sa main guidait avec précision une grande plume sombre comme la nuit. Ses cheveux d'un noir de jais lui arrivaient en dessous des épaules, et par moments quelques mèches tombaient devant ses yeux d'ambre. Un petit bouc tout aussi ténébreux se dessinait sur son menton. En guise de vêtements, il portait lui aussi une longue robe, mais d'un violet profond, semblable à la couleur d'une améthyste aux reflets envoûtants. Un insigne représentant des ailes d'aigle entrecroisées était accroché sur sa poitrine, au niveau du cœur.
Adossé contre le bureau, un bâton d'un blanc éclatant se dressait fièrement. Une grosse pierre cristalline était enchâssée à son sommet, solidement maintenue par des crochets noirs. Elle scintillait en douceur, comme si elle contenait un éclat d'énergie, prête à être libérée. Une allure aussi majestueuse que redoutable se dégageait de l'objet.
Diön posa sa main droite au niveau du cœur et s'inclina.
— Archimage !
— Ah ! Diön. Que me vaut ta visite ?
— Archimage, répéta Diön en se redressant avec gravité, le cauchemar que nous redoutions le plus vient de se produire. Les Dorinon ont été assassinés.
À ces mots, le chef des mages se leva d'un coup, renversant sa chaise dans un fracas sourd qui résonna dans la pièce.
— Comment ? demanda-t-il d'une voix tremblante d'angoisse et d'incrédulité.
— Égorgés, tous les deux, répondit Diön, la voix alourdie par le désespoir.
L'Archimage s'approcha de Diön, l'attrapa par les épaules et plongea son regard dans celui de son interlocuteur.
— Et le petit ? Il est en sécurité ? s'enquit-il avec une intensité brûlante.
— Il est encore en vie, mais il a vu toute la scène. Je pense qu'il a perdu ses pouvoirs.
— Et sa...
— Elle va bien, l'interrompit Diön d'un ton résolu. Je l'ai mise sous la protection des sœurs.
L'Archimage recula lentement, s'effondrant sur le sol comme si le poids du monde venait de s'abattre sur lui. En un instant, il paraissait avoir vieilli de dix années, son visage marqué par une angoisse insupportable.
— Ça ne pouvait pas plus mal tomber, dit-il d'une voix faible. Sans eux, je crains le pire. Certains mages commencent à manifester leur mécontentement vis-à-vis de l'entente avec les normaux. Et ces derniers commencent à nous craindre.
L'Archimage se prit la tête dans les mains et poussa un long soupir.
— Pourquoi les sœurs ?
— J'ai pensé qu'elle serait en sécurité là-bas. Sous leur protection, elle ne risque rien.
— Tu as raison, accorda le chef des mages d'une voix qui semblait avoir perdu tout espoir.
Soudain, il se redressa, comme si une révélation l'avait frappé de plein fouet.
— Où est le petit ? demanda-t-il, l'urgence transparaissant dans sa voix.
— Je l'ai laissé avec Aggianne, répondit Diön, son ton empreint d'hésitation.
— Comment ? lança l'Archimage, paniqué.
Il s'approcha de Diön et l'attrapa fermement par le col de sa robe, son regard perçant brûlant d'urgence.
— Retournes-y, tu m'entends ! Tu dois le retrouver !
— Mais avec Aggianne... discuta Diön sans comprendre l'affolement de son chef.
— Si les Dorinon eux-mêmes se sont fait assassiner, elle n'est pas assez forte pour le protéger ! s'écria-t-il, la voix pleine de détermination. Retournes-y !
Une peur s'afficha sur le visage de l'Archimage. Diön se précipita à l'extérieur du bureau, activa le cercle de téléportation et se retrouva en bas de la Haute Tour. Il courut vers le hall du château, croisa Mias qui, surpris, le laissa passer, et une fois à l'extérieur, prit la direction du portail. Après l'avoir franchi, il se téléporta dans l'impasse aux briques rouges.

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La Tour des Mages
خيال (فانتازيا)Ce tome est entièrement écrit, je publie un chapitre par semaine. Dans un empire où la magie et le mystère s'entrelacent, le destin de Nosh, un jeune orphelin, bascule lorsqu'il découvre des pouvoirs insoupçonnés. Admis à la prestigieuse Tour des ma...