— Cours Mehan !
Le jeune homme, suivi de près par sa sœur jumelle, se jette dans la pièce abritant une rangée de dix cabinets. Il se faufile entre les passants aux envies pressantes et prie fort dans sa tête pour que la dernière commodité ne soit pas occupée.
Par chance la porte est grande ouverte et Mehan et Dolan se refugient à l'intérieur. Dolan ferme la porte et ils se taisent, guettant silencieusement les pas puissants de Pleven, haut gradée de la police.
— Attention, les honnêtes gens sont priés de déguerpir au plus vite de ces W.C. publiques, ordonne-t-elle en chassant de ses mains des mouches invisibles qui semblent la gêner à chacun de ses pas.
Pleven s'approche de la dixième porte d'un pas nonchalant et frappe comme s'il s'agissait de l'entrée d'une maison. Mehan, à moitié roulé en boule sur la lunette, sent de la sueur couler le long de son échine, sous son t-shirt. Pendant ce court temps, Dolan claque des dents, bien qu'il fasse une chaleur insoutenable dans ce trois mètres carrés.
Dolan ramène en chignon ses longs cheveux bruns, laissant découvrir une belle entaille cicatrisée au creux de sa joue. Elle contourne ensuite son frère du mieux qu'elle peut et attrape une poignée dissimulée derrière la chasse d'eau. Dolan l'actionne doucement et pousse la porte qui s'ouvre sur un large couloir s'enfonçant dans le noir. Elle s'engouffre à l'intérieur suivie par Mehan qui descend de la lunette et ferme la porte derrière lui. Ils courent à toute vitesse dans le corridor jusqu'à entendre un grand fracas : Pleven a enfoncé l'accès aux toilettes, et elle ne tardera pas à trouver le moyen de leur mettre la main dessus.
Plus les jumeaux avancent, plus ils entendent de la musique surgirent de leur objectif final. Finalement, ils débouchent sur une vaste pièce remplie de bruits joyeux et d'une dizaine d'enfants, d'adolescents et d'adultes chantant et dansant au rythme du tempo. Tous se stoppent net en voyant les jumeaux entrés de manière précipitée et affolée.
— Dolan a fait une connerie, lâche Mehan en respirant douloureusement à cause d'un puissant point de côté. Pleven est à notre poursuite.
Plusieurs fois, ils ont réussi à lui échapper. Mais ils ont échoué cette fois-là, après pourtant leur routine habituelle. Mehan prend la main de sa sœur.
— Quoi qu'il arrive, je reste avec toi, déclare-t-il. On s'en est toujours sortis tous les deux. Par contre, pour les autres, je ne vois pas ce qu'on peut faire.
— Je vais tenter quelque chose, mais je ne peux rien promettre.
Pleven marche droit le long du sombre couloir. Elle n'entend que ses pas qui résonnent contre les parois humides. Enfin, elle débouche dans un endroit éclairé par une ampoule grisonnante et qui sent la sueur. De nombreux meubles parcourent les murs et au centre, un tapis décoloré masque un sol en terre grouillant de bestioles suspectes. Au loin, elle aperçoit une porte, en meilleur état cette fois, et ne peut s'empêcher d'émettre un petit sourire en la voyant.
Face à elle, Dolan et Mehan semblent protéger le petit groupe qui se tient en retrait derrière eux.
— Trouvés ! Je suppose que vous n'allez pas vous rendre, n'est-ce pas ?
Dolan serre les poings et secoue négativement la tête. Alors, Pleven sort de sa sacoche en bandoulière une petite fiole. Dessus est écrit : « parfum aux odeurs de morgue ».
D'un geste, elle le jette devant les jeunes adultes et le flacon se brise. Des éclaboussures mauves giclent aux quatre coins de la pièce et de la fumée de la même couleur s'évapore dans les airs.
