Chapitre 1

19 2 1
                                    

Le camp fourmillait d'activités sous le soleil éclatant de midi. A l'ombre d'un grand saule qui bordait les tanières du Clan de la Rivière, trois petits chatons se chamaillaient joyeusement, bondissant et se pourchassant à travers les feuilles sèches. Petite Neige, observant la scène depuis l'entrée de la pouponnière, sentit une vague de frustration monter en lui. L'ombre et la fraîcheur de la pouponnière commençait à l'ennuyer. Se dressant sur ses petites pattes, il se décida à rejoindre son frère et ses deux sœurs à l'extérieur, quand il sentit une queue s'enrouler autour de ses épaules.

"Où crois tu aller, petit curieux ? ronronna Aile de Libellule, son regard plein de sollicitude mais aussi d'une inquiétude que Petite Neige ne comprenait pas. Reste avec moi dans la pouponnière, plutôt.

- Mais pourquoi ? Petite Souris, Petite Poussière et Petit Lilas jouent dehors depuis ce matin... Je ne peux vraiment pas les rejoindre ?"

Aile de Libellule, son pelage argenté brillant sous un rayon de soleil qui perçait la voûte de la tanière, soupira en cherchant les mots justes.

"Tu te souviens de ce qu'il s'est passé la dernière fois, pourtant... Le soleil est trop fort aujourd'hui, je suis désolée. Je peux jouer avec toi, si tu veux ! Et si tu grimpais sur mon dos ?"

Dépité, Petite Neige baissa les yeux, les fixant sur ses petites pattes blanches, dont les poils exceptionnellement fins laissaient entrevoir une peau rose pâle. Le reste de son pelage était semblable ; pas une seule tâche ne venait colorer ses poils blancs. Même s'il s'attendait à cette réponse, une douleur sourde grandissait à chaque fois que sa mère refusait qu'il sorte. Acceptant à contrecœur, il tourna le dos au camp, après avoir jeté un dernier regard en direction de sa famille.


Plus tard dans la journée, les trois chatons revinrent épuisés de leurs jeux.

"Bonjour Petite Neige ! lui lança joyeusement Petit Lilas, sa sœur au pelage gris et blanc. Quel dommage que tu n'aies pas pu venir jouer avec nous... Tu nous as manqué !

- Pfff, Petite Neige ne serait même pas capable d'attraper une souris endormie, son pelage est trop voyant." répliqua Petite Souris, sa deuxième sœur, toujours aussi impolie.

Petit Lilas répondit une phrase que Petite Neige ne comprit pas, mais à en juger par sa grimace, sa sœur venait de prendre sa défense. Pour lui, il avait toujours été plus simple de comprendre ses camarades par leur gestuelle plutôt que par les mots, qui résonnaient d'une manière sourde dans ses oreilles.

"On peut jouer ici, comme ça Petite Neige n'a pas besoin de sortir, proposa Petite Poussière, le deuxième mâle de la portée.

- Non vous ne pouvez pas, il ne faut pas déranger Fleur de Tulipe. " intervint Aile de Libellule en ramenant ses chatons contre son ventre.

Personne n'insista, mais Petit Lilas lança un regard désolé à son frère, qui la remercia d'un hochement de tête. Fleur de Tulipe avait donné naissance à deux chatons il y a quelques jours. Ils étaient encore trop faibles pour jouer, et les chatons les plus vieux devaient à présent jouer à l'extérieur.

Sauf Petite Neige.

Sans qu'il ne sache pourquoi, les guerriers évitaient souvent de croiser le regard du chaton blanc. Les rares qui acceptaient de le regarder en face le dévisageaient et gardaient leurs distances. Pourtant, Petite Neige essayait d'être poli, comme lui avait appris sa mère.

Petite Perche, une des nouveau-nés, explora la pouponnière, jusqu'à tomber nez à nez avec Petite Neige. Elle se stoppa net, semblant analyser son visage. Puis, d'un coup, elle fila se cacher derrière sa mère.

"Que se passe-t-il, Petite Perche ? Tu t'es fait mal ?

- Non... mais Petite Neige me fait peur...

- Peur ? Mais il n'y a aucune raison, voyons. Petite Neige est juste... gentil, conclut-t-elle en lançant un regard gêné au chaton.

- Mais pourquoi il a les yeux rouges ? Aucun autre chat n'a les yeux rouges !

- Rouge ?"

Petite Neige crut avoir mal entendu, comme la plupart du temps. Il demanda à Petite Perche de répéter, mais elle ne répondit pas. Alors, il se tourna vers sa mère, l'interrogeant du regard. Personne ne lui avait jamais parlé de la couleur de ses yeux, mais il avait toujours pensé qu'ils étaient bleus ou dorés. Le rouge n'était pas une couleur naturelle pour les yeux d'un chaton...

"Les guérisseurs pensent que tes yeux sont liés à tes... problèmes, expliqua calmement Aile de Libellule en léchant la tête de son fils. Mais ce n'est rien. Moi, je les trouve magnifiques.

- Mais... comment je pourrais devenir un guerrier si je ne peux pas sortir de la pouponnière ?

- Tu deviendras un guerrier, je t'en donne ma parole. Et si quelqu'un ose prétendre le contraire, je lui fais manger sa queue !"

Petite Neige lâcha un petit rire malgré lui. Même s'il aurait préféré l'apprendre de sa mère plutôt que par Petite Perche, il était incapable de lui en vouloir. Cela expliquait sûrement pourquoi Petite Souris était si moqueuse avec lui, et pourquoi ils se chamaillaient tant.

Comme toujours lorsque le soleil frappait fort, le pelage brun d'Étoile de Mulot semblait presque beige, les rochers blanchâtres, et le grand saule avait un tronc si pâle qu'il paraissait mort. D'aussi loin, Petite Neige le voyait flou. S'il ne pouvait se fier ni à sa vue ni à son ouïe, il se demandait quel genre de guerrier il pourrait bien devenir. 

Quand vient la NeigeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant