Prologue

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Tout était en flamme.

Tout.

Absolument tout...

Les langues embrasées grimpaient le long des murs, s'élançaient dans les escaliers, rampaient au sol, dévorant les tableaux, les tapisseries et les corps étendus, sans vie. Les poutres craquaient dans un vacarme assourdissant avant de chuter, entraînant avec elles des planches et des nuages de cendre. L'air était lourd, sombre, irrespirable, chargé d'une fumée amère qui portait avec elle le parfum du désespoir et de la mort.

Sa mort à elle. Et pour une créature qui ne craignait guère le trépas, elle le savait, tout au fond d'elle, elle le sentait : elle allait mourir. Son heure était venue. Rien n'était jamais vraiment éternel... Nul n'était vraiment immortel.

Agenouillée au sol, au milieu de cet incendie dévastateur, elle regardait partir en fumée son château, alors qu'il s'effondrait sur elle. Poutre après poutre, planche après planche, tout ce qu'elle avait bâti, son nid, était réduit à néant.

Seule, elle assistait à cette chute. Sa propre chute. Que lui restait-il ? Rien. Rien hormis les débris des illusions dont elle s'était bercée jusque-là.

Ses épées maculées de sang et de cendre encore sur ses genoux, son regard tomba sur son reflet dans la lame. Elle faillit ne pas se reconnaître.

Son visage pâle et couvert de poussière arborait une expression hagarde, défaite, et paraissait déformé. Des trainées de suie couvraient ses joues, se mêlant à l'écarlate des tâches qui ressortaient sur sa peau blanche. Et son regard... C'était le regard d'une personne qui avait totalement perdu la raison.

Elle qui était si belle, si renommée, si respectée, si crainte... La voilà réduite à cette apparence de furie, échevelée, effondrée. Son front était nu, sa couronne était tombée quelque part dans les décombres et elle ne la retrouverait jamais. Elle avait causé elle-même cette guerre. Et elle l'avait perdue.

L'humiliation demeurait plus brûlante encore que toutes les flammes qui se rapprochaient petit à petit de son corps, délaissé, abandonné. Elle en sentait la morsure au creux de sa poitrine, à chaque battement de cœur, des canines acérées venaient s'y planter, déchiqueter la chair déjà sanguinolente.

Elle ne ressentait pas la soif habituelle. Cet instinct qui l'avait toujours poussée à lutter, à survivre, à créer ses enfants... Il avait disparu. Envolé face à quelque chose qui aurait dû être de la résignation mais qui ne l'était pas, quelque chose de plus fort...

Elle savait ce qui l'attendait dehors. Et elle le refusait. Elle préférait brûler avec son palais.

Mais le feu n'arrivait pas, il tardait, comme un prédateur prenant son temps avant d'enfin avaler sa proie. Elle le comprenait... Combien de fois n'avait-elle pas agi de la même manière, attendant cruellement avant de se jeter sur sa cible et se repaître de son sang.

Cependant, elle s'impatientait de cette fin qu'elle accueillait à bras ouverts et qui ne venait pas, sans qu'elle n'en comprenne la raison. Plus rien n'empêchait l'incendie de venir la dévorer. Alors pourquoi...

« Ne reste pas ici !

Les mots résonnèrent par-dessus les sinistres craquements du brasier. Un frisson éléctrisa la femme qui se figea, écarquillant des yeux. Son cœur rata un battement.

Il y avait quelqu'un d'autre...

Qui...?

Elle releva aussitôt la tête. Les longues mèches rousses qui tombaient devant son regard glissèrent sur son front comme un rideau, dégageant sa vue. Face à elle, au milieu des flammes, se tenait une immense silhouette. Elle se découpait, telle une ombre surgissant des cendres, droite. Le feu l'éclairait curieusement, révélant les teintes vertes du long manteau qui la couvrait tant qu'il était impossible de deviner ce qu'il cachait. Son regard remonta enfin jusqu'au masque blanc qui dissimulait l'entièreté du visage du nouveau venu, sur lequel étaient dessinés d'étranges symboles dorés.

Les Enfants du SangOù les histoires vivent. Découvrez maintenant