Chapitre 6. Lune noire.

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Erzsébet n'était pas réellement sûre de considérer les Terres de la nuit comme étant sa demeure. Elle en avait été exilée pendant trop longtemps. Et même auparavant, lorsque son château dominait les bois, elle arpentait le monde des mortels à la recherche de la gloire et du pouvoir parmi les différentes contrées et royaumes qu'elle pouvait traverser. Les enfants du sang pouvaient prétendre vouloir vivre en autarcie, dans cette étrange bulle coupée de tout, mais sans les mortels, ils n'étaient rien.

Cependant, et alors que cela faisait à présent quelques jours qu'ils étaient de retour après tant de temps, elle peinait à réellement réaliser qu'elle était revenue. Cette imposante forêt, ses arbres tantôt parés d'un feuillage aussi rouge que le sang, tantôt d'un vert aussi sombre que l'encre, l'air chargé de souvenirs et de parfums oubliés du reste du monde, les créatures qui s'y dissimulaient. Tout était différent et pourtant si semblable à ce qu'ils avaient été par le passé. Peut-être que les Terres de la nuit n'était pas sa demeure, mais malgré elle, elle se sentait reliée à cet univers à part, comme si un lien presque tangible et plus solide que tous les exils du monde la reliait à cette terre, comme si, derrière celle-ci, au creux de ses racines, se trouvait un cœur vivant, qui battait à l'unisson du sien.

Elle faisait partie de ce monde.

Elle lui était liée.

Du bout des ongles, elle tapotait contre le gros bocal accroché à sa ceinture et dans lequel se trouvait le précieux liquide anthracite qu'elle avait acquis quelques heures plus tôt, dans une petite échoppe au marché noir. Le cliquetis que produisait ses griffes contre le verre glacé se mêlait aux craquements des branches sous leurs pieds. Ils avaient retraversé le brouillard depuis un petit moment et atteignaient désormais la partie des bois dans laquelle ils avaient élu domicile, à l'écart des allées-et-venues des autres immortels.

Devant elle, Tamàs marchait les mains enfoncés dans ses poches, le regard partiellement levé vers la cime des arbres. Le blond était curieusement silencieux depuis qu'ils avaient quitté la ville des mortels pour revenir ici. Trop silencieux.

Erzsébet s'était préparée à l'entendre râler comme à son habitude contre le trajet, ou bien essayer de la convaincre de fuir avant que leur ennemi ne parvienne à les détruire pour de bon. Mais il n'en était rien. Depuis qu'il avait capitulé et s'était résigné au plan de vengeance de sa créatrice, il s'était muré dans le silence, se contentant de la suivre.

Intriguée, elle l'interpella :

« À quoi penses-tu ?

— La lune était bien noire ce soir... confia-t-il, songeur. C'est mauvais signe.

Pardon ?

Par réflexe, elle darda à son tour un instant son attention sur le ciel nocturne. Ce dernier, d'un bleu d'encre, était couvert de nuages gris qui quelques fois laissaient apparaître une ou deux constellations. Mais pas la moindre trace de l'orbe blanc.

— C'est ce qu'on appelle une nouvelle lune Tamàs, cesse un peu d'être si superstitieux, soupira-t-elle, levant les yeux au ciel.

— Rappelle-moi quel âge as-tu ?

La question la fit froncer des sourcils. Elle ne s'y était pas du tout attendue et il lui fallut se la répéter à au moins deux reprises pour être sûre d'avoir bien compris. La surprise première passée, elle secoua vivement la tête, les yeux écarquillés avant de s'esclaffer, abasourdie :

— Tout d'abord ce n'est pas une question que l'on pose à une dame.

— Toi, une dame ?

Le jeune immortel étouffa de justesse son ricanement moqueur derrière une quinte de toux face au regard noir qu'elle darda sur lui. Satanés enfants... À force d'installer trop de complicité avec eux, ils ne respectaient plus leurs aînés... Voilà ce qu'apportait un siècle d'errance, coincés à deux... Elle décida tout de même de ne pas relever et se contenta d'interroger, perplexe :

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