Chapitre 1 - Prologue

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Mois d'août . 


Je me réveille en sursaut , une nouvelle fois trempé de sueur .  Sans attendre , je me redresse , les membres engourdis par le sommeil . D'un geste sec , j'ouvre les rideaux de ma chambre . Dehors , il fait nuit noire . Pas une étoile , et seule l'empreinte glaciale de la lune vient me tenir compagnie , avant d'être voilée par quelques nuages grisâtres . Le souffle court , une nuée d'images me reviennent soudainement en mémoire . Toujours le même rêve , et voilà quatre ans que cela dure . Son visage m'apparait à présent distinctement , ses mains tachées de sang s'avancent vers mon cou , et , d'une voix faible , elle m'appelle .  Je ferme rapidement les yeux . 

Mon corps entier est alors secoué d'un violent frisson . Je m'aggripe aux draps qui recouvrent mon lit . Les tremblements reprennent , de plus en plus forts , envahissant la pièce. Une vague de chaleur s'abat alors violemment sur moi .   Inopinément , un liquide chaud et poisseux coule lentement le long de mes joues . Mon nez saigne , le flux ne s'arrête pas .

 Le temps semble cesser, je n'entends que le hurlement incessant de ...? D'où provient ce son , d'ailleurs ?..  Ce doit être le vent . Dehors , un oiseau de nuit siffle une symphonie meutrière .  

 Je tente vainement de me rassurer ,  trouver une explication , mais rien n'y fait .  Je sais bien qu'il ne s'agit pas du bruissement d'un simple vent d'été . Je serre les dents , et plante durement mes ongles au creux de mes bras .  Un horrible pressentiment m'envahit , puis , je sens, lentement ,  mes forces me quitter , lorsque la porte de ma chambre, après un dernier vif  soubresaut , s'ouvre subitement  à la volée  ..


Comment peut - on croire sans avoir vu ?  Cette nuit  , la peur est revenue . 

Mes yeux s'agrandissent , mes mains desserent brusquement leur emprise , puis , un froid mortel m'envoûte à mesure que les secondes s'écoulent . Ma mémoire s'enlise dans un long tunnel ténébreux , tandis que ;  dans la pénombre s'élève un chant mystérieux  . 

Tout n'est que sang et eau . 

Lune pleine signifie aubaine . 

Elle portera mon lourd fardeau , 

Et brisera mes chaînes . 

Il n'y a point de retour . 

Mon coeur gravit la vallée de houx , 

Je serais , pour toujours , 

Lycidas , fils des loups . 


....................................

Mois de Janvier , quelques temps avant cette fameuse nuit . 


Il était tard , et la nuit , profonde , mystérieuse , mortelle , commençait à apparaitre . Un froid glacial et mordant envahissait l'atmosphère , malgré la présence d'un feu , crépitant faiblement dans l'âtre . Le bois ainsi que le gibier manquaient en cette saison hivernale . 

Tous les ans , je maudissais la faim , le froid , la peur ; mais surtout ..Les loups .

 Chaque soir de pleine lune , leurs hurlements déchiraient l'air , puissants , sanglants , terrifiants ... 

 Ils avaient également clamé leurs cris  avant de dévorer ma mère sous mes yeux , il y a deux ans. Ce cauchemar ne pourra jamais me quitter . Je savais qu'il me hanterai jusqu'à ma dernière nuit. 

Une voix faible vint soudainement me tirer de mes pensées sombres . 

- Lycidas , murmura t'elle ; j'ai froid . 

La frêle silhouette de Yorutsu se découpait à travers la pénombre . Ses cheveux , habituellement longs , formaient à présent une tignasse courte , mais néanmoins fort hirsute . 

Je soupirai . 

- Qu'as tu fais à tes cheveux ? déclarai je , d'un air las . 

Yorutsu saisit une mèche de sa chevelure d'ébène entre ses doigts , afin de l'étudier scrupuleusement . 

- J'ai simplement coupé ma crinière , me déclara t'elle  , avec une indifférence qui ne me surprit pas . 

- Tu aurais tout de même pu me demander de l'aide . 

Ma soeur haussa les épaules . À vrai dire , je pense que son apparence était le cadet de ses soucis . Il en avait toujours été ainsi , fort heureusement . Je préférai cette version de Yorutsu . 

Je jetai rapidement un oeil inquiet au feu , qui ne tarderai pas à s'éteindre pour de bon .      Bientôt , il ne resterai plus rien . 

Yorutsu éleva alors la voix . 

- Je devrais aller chercher du bois , afin de commencer les réserves de l'hiver . Il fait bien trop fr...

- Il en est hors de question ! protestai- je brusquement . Tu es bien trop chétive . Et puis , tu pourrais sans nul doute te perdre . Cela peut attendre demain , ajoutai-je vivement . 

Elle me jeta un regard empli de dédain , d'animosité , mais surtout ; de revanche.                                 Je ne voulais me l'avouer , mais cet aspect me faisait peur  ... 

Je ne laisserai pas Yorutsu 

Finir . Comme . Ma . Mère . 

Je me levais péniblement de mon siège , lorsqu'une douleur lancinante mordit ma cheville , m'obligeant à m'asseoir de nouveau .  J'en avais presque oublié ma blessure , qui chaque jour devenait plus douloureuse . Une mauvaise chute me l'avait infligée , un soir de chasse . 

Yorutsu me toisa d'un air circonspect . Je voyais bien qu'elle s'inquiétait pour  moi . 

- Tu n'es visiblement pas en état de marcher , conclut t-'elle . Je m'occuperai du bois . Restes ici le temps que je sois de retour . 

Je fulminai intérieurement , de tout mon être . Je ne pouvais pas me résoudre à la laisser partir.   Impossible . 

En réalité , j'avais bien trop peur . De la nuit . Du brouillard . De la perdre. Et des loups ...                    Les traces de sang indélebiles qu'ils m'avaient laissé ne s'effaceraient jamais . 

Yorutsu , d'un air impassible , approcha sa main pâle de mon visage afin de me pincer affectueusement la joue . Je grimaçai d'agacement . 

Une bise de vent , à la fois aride et glacial vint soudainement caresser mes cheveux .

 Je me tournai alors vers l'âtre , parsemé de cendres d'argent .                                                                          En un souffle , le feu s'évanouit . 

Dans un élan , je pris les mains de Yorutsu dans les miennes . 

- Reviens . Promets-le moi . 

Ce fut tout . Enveloppée dans un épais châle blanc , ma soeur franchit le pas de la porte . 

- Si je ne suis pas de  retour avant l'aurore , enterres moi ; me déclara t-elle en souriant ironiquement .                                                                                                                                                                          Elle agita la main en guise de brefs adieux , puis me lança un dernier regard , empli d'espoir . 

Je murmurai un bref " sois prudente " , avant d'observer sa silhouette se fondre dans les travers de la forêt obscure . 

Je levai alors mon regard vers le ciel , contemplant les rares étoiles qui le piquaient . 

C'est alors que mon sang se glaça . 

J'eus l'intense sensation d'avoir commis une immense erreur . 

Ce soir , la lune était pleine ...

Lycidas , fils des loupsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant