3. Si on sortait ?

31 3 6
                                    

La porte qui se referme pour la énième fois sur sœur Marie-Isabelle me file un bourdon monstrueux.

Il faut que je me casse de là. J'en peux plus de ces quatre murs à la blancheur étouffante. J'en peux plus de rappeler en vain des souvenirs qui ne se laissent pas apprivoiser.
Ça m'a fait rire les premiers jours mais là j'en ai soupé des salamalek cathos de mes geôlières. La prochaine fois que j'entends une cloche ou un cantique, je jure que je bouffe une religieuse !

Je me fous de mon cul cassé, de ma gueule en biais sous un pansement qui me fend la tronche, je veux sortir d'ici et retrouver ma vie. Il doit bien y avoir quelqu'un qui me cherche, qui m'attend, qui s'inquiète pour moi, non ?

Peut-être Karen ? Pfff tu parles, elle doit être trop contente d'avoir l'appart pour elle seule. J'imagine que ça doit être boîte de nuit tous les soirs là-dedans. Dans quel état je vais les retrouver ?
Au boulot ? Aucune chance que mon absence soit remarquée. Je bosse en free lance. Ni Dieu ni maître ... ni personne pour s'émouvoir de mon silence. Au pire mes clients s'agaceront et finiront par appeler un concurrent.

Et pour le reste ? J'ai fait le vide autour de moi en m'étourdissant de boulot et de filles. Depuis Rose, je ne veux plus d'attaches.

Rose. Ma douce fleur piquante. Rose qui envahit un peu plus chaque jour le vide imposé de ma vie. Et j'ai de plus en plus de mal à chasser son sourire. Ça devient une torture. Ça fait huit ans maintenant qu'elle est partie sans laisser de trace. Pourquoi ça fait toujours aussi mal ? Est-ce qu'un jour ça va s'arrêter ?

Non. Ça va pas s'arrêter, je le sais. Jamais. J'ai eu beau embrasser des centaines de lèvres, je n'ai jamais retrouvé la tendre pudeur des siennes. J'ai pu feindre une bonne humeur forcenée toutes ces années, mais rien n'a jamais égalé la spontanéité de nos fous-rires échevelés, de nos mots jetés à l'unisson, de notre complicité innée. Aucun regard ne sèmera jamais autant de trouble au fond de moi que le bleu lagon de ses yeux qui me désarment.

Et ce lit sur lequel je suis lamentablement échouée me rappelle tellement de nuits. Des nuits dévorées du besoin de s'écrire, de se dire, se découvrir, de se dévoiler et s'abandonner. D'autres nuits épuisées à repousser des démons jusqu'aux premiers éclats du jour. Un nombre incalculable de nuits éclatées de nos rires incontrôlables. Et puis des nuits consumées sans compter dans nos corps à corps, des nuits à réinventer l'amour sur sa peau diaphane. Je déteste ce putain de lit !!!!!

Je ne veux plus ...

Je ne veux plus penser à Rose.

Et pour ça il faut que je me casse, vite. Je ne sais même plus depuis combien de temps je suis emmurée vivante. J'aurais dû gratter le plâtre de mes ongles pour marquer chaque journée. En plus ça l'aurait décoré ce putain de mur blanc. Il est tellement déprimant que même les araignées ont renoncé à y élire domicile.

Tiens c'est vrai qu'il n'y a aucune araignée. C'est bizarre quand même. En scrutant le plafond à la recherche d'une trace de toile, je m'attarde pour la première fois sur l'objet noir qui surplombe la porte d'entrée. Ce n'est pas un gond refermant, contrairement à ce que je pensais. Qu'est-ce que c'est que ce truc ? Une caméra ?

Elles sont vraiment givrées les frangines ! Voilà qu'elles m'espionnent maintenant ? Chaque découverte à propos de ce lieu est encore plus flippante que la précédente. Cette fois la colère m'envahit. Elles se foutent de moi depuis le début, avec leur mièvreries et leurs cachetons pour m'endormir. Mais qu'est-ce qu'elles cherchent à me faire avouer ?

Confession intimeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant