Samedi 7 décembre - matin
— Léonora, attention !
Je me réveillai en sursaut et l'homme près de moi, dont les quelques rides m'indiquaient qu'il approchait de la soixantaine, me dévisagea. L'étirement vers le haut de sa lèvre supérieure montrait clairement que la surprise laissait le terrain au dégoût. Je m'excusai brièvement de l'avoir dérangé et m'empressai de tourner la tête à l'opposé tout en remettant mes cheveux en place.
A quoi tu t'attendais ? Tu devrais avoir l'habitude de ce genre de réaction depuis le temps.
Quelques instants plus tard, le train s'arrêta pour faire descendre les passagers terminant leur trajet à Mâcon. Par chance, mon voisin quitta son siège avec sa valise. C'était la fin du voyage pour lui et un soulagement pour moi. Il me restait encore deux heures avant d'arriver.
Mon regard se perdit dans le paysage au fur et à mesure de l'avancée du wagon. La ville avait laissé place à la nature et je relevai qu'un tapis blanc s'installait doucement sur l'herbe et les champs au fil de mon avancement. Alors que le soleil continuait son ascension face à la difficulté de l'hiver, je remarquai le reflet d'un visage sur la vitre. Il me renvoyait l'image d'une jeune femme cernée aux joues creusées. Sa mine défaite la faisait paraître plus âgée qu'elle ne l'était en réalité et la longue mèche brune, qui lui barrait la figure, lui donnait un air encore plus sombre. Je ne parlais même pas de la couleur de sa peau qui était bien plus pâle que d'ordinaire. Ce que je voyais me terrifiait autant que ça me dégoutait.
C'est tout ce que tu mérites après ce que tu as fait.
Voilà ce qu'elle me répétait en boucle à chaque fois que j'avais le malheur d'essayer de m'y confronter.
Je détournai les yeux devant ce spectacle abominable et me mis à observer discrètement les autres voyageurs. Je tâchais de m'imaginer leurs vies et la raison de leur déplacement. Mais ce dernier point était presque une évidence au vu de la période. Noël approchait à grands pas et on arrivait à la moitié du mois de décembre. Mon estomac se contracta en pensant à ce qui m'attendait une fois sur place et voir les familles le sourire aux lèvres tout autour de moi agressait mon moral. Qu'est-ce que je pouvais haïr ces moments qui me rappelaient que plus jamais je ne pourrais être aussi heureuse qu'eux. L'angoisse s'emparait peu à peu de mon être et je me forçais à respirer profondément et calmement. C'était une véritable torture. J'aurais donné n'importe quoi pour rester dans mon minuscule studio parisien bien miteux dont la moisissure se répandait avec l'humidité. Mais une promesse était une promesse. Je n'avais qu'une parole et ma meilleure amie ne me pardonnerait jamais l'affront de lui faire faux bond. Elle était tout juste sortie de la maternité il y a deux jours et m'avait téléphoné juste après pour me rappeler qu'en tant que marraine, il était de mon devoir de venir voir ma filleule. J'ai eu beau lui dire que ce n'était pas une bonne idée et qu'elle devait se reposer, il n'y avait rien à faire. Quand elle voulait quelque chose, elle faisait tout pour l'obtenir. Alors forcément, j'avais craqué et voilà comment je m'étais retrouvée dans ce train bien plus tôt que ce que j'avais prévu. Avec la chance que j'avais, il fallait que la petite soit née avant terme. Moi qui pensais pouvoir échapper aux fêtes, c'était peine perdue.
Après quelques arrêts qui me semblèrent une éternité, le train approcha enfin de son terminus, Annecy.
Ça y est Léonora, tu y es... C'est trop tard pour faire marche arrière maintenant.
Je remarquais d'autant plus mon appréhension, ne parvenant pas à décoller mes fesses de ce maudit siège. Le wagon se vida petit à petit et un agent d'entretien se posta devant moi pour me prévenir que nous étions arrivés à bon port et qu'il me fallait délaisser le véhicule. En me levant, mes jambes me firent l'effet d'un scoubidou tant je me sentais fébrile. Valise en main, je quittai le train et traversai la gare telle une automate. Je ne pus retenir un soupir de soulagement en voyant que la neige n'avait pas encore recouvert les routes et les trottoirs. C'était au moins ça de positif.
Je marchais ainsi durant plusieurs dizaines de minutes alors que de nombreux bus et voitures passaient près de moi. Je m'efforçais de ne pas les regarder et je restais fixée sur mon objectif. Mes pieds s'arrêtèrent face à un immeuble que je ne connaissais que trop bien. Je sortis les clés de mon petit sac en bandoulière usé et en les rapprochant du détecteur, le BIP caractéristique m'indiqua que je pouvais pénétrer dans le bâtiment. Mes oreilles bourdonnaient à mesure que j'avançais dans le hall. Je ne me souvenais même pas être entrée dans l'ascenseur quand je me retrouvais devant l'appartement numéro 422. Mes mains tremblaient sans que je ne parvienne à les contrôler et j'eus toutes les peines du monde à glisser l'objet en métal dans la serrure. Un tour. Deux tours. J'étais en enfer.

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Noël et Rédemption
RomanceQuand Léonora est désignée comme marraine par sa meilleure amie d'enfance, elle n'a d'autre choix que de retourner à Annecy pour faire la connaissance de sa filleule. Seulement, il a fallu que celle-ci soit née à l'approche des fêtes de fin d'année...