1. - Chapitre unique

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Je ne me sens pas bien. Pas bien dans le monde, dans ma peau, dans ma vie et dans celle des autres. Je ne me sens pas bien à l'école, en stage ou chez moi. Je ne me sens pas bien dans ma tête, dans mon corps ou contre celui des autres. J'ai passé ma vie à hurler, de plus en plus forts, jusqu'à ce que ce cri devienne enfin un murmure au lieu d'être inaudible. J'ai hurlé au sexisme, aux agressions, au machisme automatique des gens, des ados, des adultes. Et je crois que même si j'étais seule, tout le monde m'aimait bien pour ça. Ça leur donnait l'espoir qu'un jour, leur cri inaudible se joigne au mien et qu'on devienne plus, bien plus qu'un murmure.

Être féministe, c'est difficile quand on est une femme. Je veux dire, c'est sans doute dur quand on est un homme, pour différentes raisons que je ne connais pas. Mais en tout cas pour une femme, c'est dur. Est-ce que se couper les cheveux sera reçu comme un geste progressiste, montrant que les femmes font désormais ce qu'elle veulent de leur corps, ou une tentative de masculinisation, et donc une désolidarisation ? Est-ce qu'il faut cacher son corps pour casser le code selon lequel une femme doit toujours être belle et apprêtée, ou au contraire le montrer, car on devrait être fière de notre apparence et ne pas avoir peur ?

Être féministe, c'est difficile quand on est une femme. C'est peut-être encore pire d'être féministe quand on est en couple avec un garçon. Au début, si on choisit bien, bien sûr, ça se passe bien. La personne est peut-être même tombée amoureuse de nous parce qu'on était engagée et fière. Et indépendante. Mais bizarrement, chaque relation que j'ai eue, c'est terminé par des "tu ne peux pas arrêter d'être toi deux secondes ?"; "tu ne peux pas arrêter d'être féministe deux secondes ?". Comme une insulte. Comme si, soudainement, c'était devenu une maladie.

Et je me demande si je ne suis pas lourde. Enfin, c'est vrai, je suis avec un garçon et je continue à poster des blagues sur le fait qu'ils sont tous lourds et cons. Je suis avec un garçon et je raconte que les couples lesbiennes sont mieux, qu'il n'y a pas un mec pour tout gâcher. C'est de l'humour, mon humour. Mon humour qui fait rire tout le monde, qui faisait rire ce garçon-là avant qu'on ne soit officiellement ensemble. Et soudain tout est une insulte. Un "Soyez indépendantes et libres" est reçu comme "Le célibat, c'est la preuve que vous êtes une fille moderne". Un "Cette société contrôlée par les mecs hein, tous pareils" est reçu comme "Vous êtes tous des connards y compris toi, et tu essayes de me contrôler."

Je veux dire, des femmes mauvaises, il y en a partout, et des puissantes aussi. Certaines femmes ont bien trop de pouvoir pour leur mentalité qui me dégoûte. Mais soyons honnêtes, la société favorise les hommes. Et quand j'entends mes amis dire qu'elles épouseront un gars bon en classe parce qu'il fera des grandes études et gagner bien sa vie, du coup, je me sens obligée de poster un truc pour dire "Réussissez par vous-même, soyez indépendantes, soyez libres, n'attendez pas qu'un mec vienne tout vous donner pour tout vous reprendre quand il sera lassé.".

J'ai passé ma vie à hurler, de plus en plus forts, jusqu'à ce que ce cri devienne enfin un murmure au lieu d'être inaudible. J'ai hurlé au sexisme, aux agressions, au machisme automatique des gens, des ados, des adultes. Et je crois que même si j'étais seule, tout le monde m'aimait bien pour ça. Sauf que quand on m'a enfin entendue, ils ont eu peur. Je suppose que j'étais amusante, à m'égosiller, impuissante à ma petite échelle. Et quand soudain, j'ai été audible, quand j'ai changé une chose, puis une autre, ils ont eu peur. Et quand soudain, j'ai eu du pouvoir, ils ont eu peur.

"Si tu détestes tant les hommes, pourquoi on sort ensemble ?".

Crétin. Je ne hais pas les hommes, c'est le principe même d'un sexisme, différent certes, mais pareil au fond. Basé sur la peur et la haine. Le besoin de contrôle, aussi. Je ne cherche pas le contrôle, juste le respect. Dire que je hais les hommes, reviens à dire que je suis sexiste. Dire que je suis sexiste reviens à dire que j'ai peur d'eux. Et ça, c'est présomptueux.

Mon but n'a jamais été d'insulter, de peiner, de repousser. Je pense sincèrement qu'il y a de très grands hommes dans le monde. De très petits hommes, aussi, mais pas moins bons. Simplement, j'ai l'impression que tout le monde peine à présent à faire la différence entre l'individualité et la collectivité. Deux lesbiennes ne s'aiment pas forcément. Une féministe et un homme ne se détestent pas toujours. Dire le contraire revient à reconnaître qu'il y a une différence créée par le sexe des individus. Deux hétéros ne sont pas systématiquement en couple, alors pourquoi deux homos le seraient ? Deux garçons ne se détestent pas forcément, alors pourquoi une fille et un garçon devraient le faire.

La seule chose qui nous pousse à la haine, c'est la société. Et je ne suis pas la société. Je suis juste une fille perdue, trop jeune, féministe, amoureuse et qui ne se sent pas bien. Pas bien dans le monde, dans ma peau, dans ma vie et dans celle des autres. Je ne me sens pas bien à l'école, en stage ou chez moi. Je ne me sens pas bien dans ma tête, dans mon corps ou contre celui des autres. J'ai passé ma vie à hurler, de plus en plus forts, jusqu'à ce que ce cri devienne enfin un murmure au lieu d'être inaudible. Et quand c'est enfin le cas, je regrette qu'il le soit. Si seulement personne ne m'avait entendue, si seulement personne n'avait su.

J'aurais été une fille perdue, trop jeune et amoureuse. Comme tous les ados aujourd'hui, je crois. On est toujours perdu, trop jeunes pour nous-même. Et on tombe forcément amoureux, n'est-ce pas ? Même juste un petit peu.

***

Note de fin : c'est un personnage fictif qui parle. il a ses propres opinions, sa propre façon d'appréhender les choses et ses propres expériences qui le construise, indépendamment de moi. et sinon, oui la couverture sent la flemme, elle en est saupoudrée avec amour.

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⏰ Dernière mise à jour : Oct 03 ⏰

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