La prose de Jeanne

34 10 4
                                    

Je savais déjà ce que j'ai vu dans la prunelle de ses yeux
Qui vomissent les signaux,
Mais je savais. J'ai toujours su,

Même dans les langes ? J'étais coupable d'avoir tiré ma couche
Mordu ma tétine
Crié trop fort la nuit
Coupable d'être un bébé. Coupable d'avoir faim D'avoir peur De ne pas être en sécurité,
alors qu'elle me hurlait
TOUT VA BIEN !!! Quel horrible bébé
Gros gras rouge, courtaud, grandiloquent grisonnant de tant de colère risée
C'est injuste, GRANDIS !

Prend sur toi tes cliques et tes claques tes caricatures ton karma
Je n'ai pas les épaules pour revivre ma naissance une seconde fois.
Sois normale et tais toi.

Mes larmes ne sont que des larmes de lait en attendant que la sagesse vienne assécher ma peine.
C'est la bêtise qui me met à terre, ma bêtise.
Ses mots sont ceux d'un démon,
Elle ne sait pas.
J'ai les clés de la porte des enfers que je laisse délibérément ouverte,
Allez, Calcifer !
Allez, Belzébuth !
Allez, tout les zebulons !
Il paraît que seule moi peut maîtriser les lourdes cages qui retiennent leurs queues trainantes à moi.
M'étais je trompée de trousseau ?
Je ne savais pas.

Mais dans ces bas lieux l'échec n'est pas une tromperie que le sort nous fait
Car c'est bien la façon dont on nomme Satan.
On est damné, une fausse note, un pas de côté, une lettre boiteuse
Et c'est un automate rouillé qui suit le long cours des ordures.
Une voix trop élevée, un ego trop rembourré, une larme trop vulgaire
Et l'on a plus de mère.

C'est l'orgueil de ne pas avoir élevé un enfant téléphone qui rend ces femmes folles et qui leur enlève toute raison
Ce ne sont ni des démons, ni des zebulons, ni des asmodons.
C'est ce qui fait leur particularité.
Personne ne sait.

Lorsque je ne suis plus un nourrisson je me vois cuisinière
Derrière mes gros fourneaux de cuivre, ma toque rentrant à peine sur
Mon crâne démesuré, ou sortent à flot les miracles de
L'anxiété.
J'ai un rat dans mon vêtement, il bat pour un coeur rouillé
Et l'on me paye.
Je fais des plats sans sens, sans odeur sans simagrées, silencieuse
Les gens se perdent dans mon assiette
Ils mangent ce que je prépare
Et je les mange pour l'addition.
Ils ne savent rien de moi.

Et quand je suis chanceuse je rêve d'être écrivaine
Je mendie des maux et des mots
Qui me rendront célèbre dans les égouts de Paris.
Et dans les lumières verdâtres d'une benne
Je vois mon ombre tour à tour s'emplumer
Pour se dégonfler à la manière d'une baudruche des Beaux-Arts
Dont je me moquais hier et pour qui j'avais tout le désir du monde

Mais dans ses yeux signaux je me suis enfermée
Elle me tient comme un poisson dans son filet
Comme un mormon dans son gilet,
Comme un saumon dans son marais.
J'ai peur.

J'ai peur de ne pas savoir sauter du nid,
D'être née trop tard ou trop tôt, de ne pas être née assez !
Moi qui me croyais juste je me trouve derrière mon promontoire
À défendre mes ailes cassé et mon bec bavard.

Et à tout ceux qui brisent mes rêves avec les marteaux rouges des métros
À tout ceux qui m'ont dit qu'elle ne serait jamais mienne et que je ne suis pas la reine des lesbiennes,
Je leur ai montré que j'étais plus que ça.

Derrière mon visage
Rond.
Rouge.
Gras.
Gros.
Grandiloquent.
J'étais la cuisinière et l'écrivaine qu'ils ne seront jamais, oh la belle étoile filante !
J'ai vu mon orgueil illuminer le ciel.

Le bazar de Maitre des LumièresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant