Le Poids des Secrets

I. Le masque de l'avocate

Le bruit des talons frappant le marbre du tribunal résonne dans le grand hall. C'est une musique à laquelle je suis habituée, un rythme régulier, rassurant, presque mécanique. Je pourrais marcher les yeux fermés dans ces couloirs, sentir l'énergie du lieu s'infiltrer en moi, me nourrir, me maintenir en vie. Washington, ce vaste théâtre du pouvoir, est devenu ma scène, et dans ce rôle d'avocate, j'ai appris à jouer chaque geste, chaque regard, comme si ma vie en dépendait. Et c'est le cas.

Personne ne se doute que derrière cette façade se cache une mission beaucoup plus complexe, plus personnelle. La famille Walsh. Rien que ce nom suffit à faire bouillir mon sang, même après toutes ces années. J'inspire profondément, chassant les souvenirs qui tentent d'émerger, les réprimant comme toujours. Ce que je fais ici est bien plus qu'une simple carrière brillante ou une montée dans les rangs du barreau. C'est ma vengeance silencieuse, mon jeu calculé, où chaque mouvement, chaque affaire, m'approche un peu plus de la chute de ceux qui m'ont tout pris.

Je jette un coup d'œil à mon reflet dans l'ascenseur alors que les portes se ferment. Le tailleur noir que je porte me donne une allure impénétrable, presque intimidante. Mes cheveux sont tirés en arrière, lisses et sans défaut. Pas un seul signe de fragilité. C'est le masque que j'ai perfectionné au fil des ans, celui d'une femme forte, inébranlable, capable de tout affronter. Mon visage, pourtant, raconte une autre histoire. Dans mes yeux, une étincelle de colère brûle encore, soigneusement dissimulée sous une apparente sérénité. Personne ne devine ce qui se cache derrière ce masque, et c'est mieux ainsi.

L'ascenseur s'ouvre sur l'étage du cabinet où je travaille. Mon bureau est situé dans une des tours les plus prestigieuses de Washington, un lieu où l'on défend les puissants, où chaque mot compte, chaque geste a des répercussions. Ici, la justice n'est pas toujours ce qu'elle semble être. Il faut savoir manœuvrer dans les zones grises, manipuler les failles du système, et c'est précisément ce que je fais. Mais contrairement à mes collègues, qui cherchent la gloire ou l'argent, je poursuis un but bien plus sombre : la destruction des Walsh, étape par étape.

Je m'installe à mon bureau, le cuir de la chaise froid sous ma peau. Mon regard se pose sur le dossier qui trône devant moi : Walsh Industries. Un nom qui résonne dans les couloirs du pouvoir, une entreprise tentaculaire, presque intouchable. Mais pas pour moi. Je l'ouvre lentement, caressant du bout des doigts les pages comme s'il s'agissait de la clé d'un trésor interdit. Je le connais par cœur, ce dossier, mais chaque fois que je le parcours, un sentiment d'excitation glacée me parcourt. Je sais que la vérité est là, cachée dans les méandres des chiffres, des accords douteux et des signatures falsifiées. Mon travail est de tout mettre à jour, pièce par pièce, jusqu'à ce qu'il ne reste plus rien de leur empire.

Mes yeux survolent les chiffres. Il y a une faille, je la sens. J'ai déjà quelques pistes, des irrégularités dans leurs comptes offshore, des transferts d'argent suspects, mais il me faut plus. Je ne peux pas me permettre de foncer tête baissée. Le moindre faux pas et je serai éjectée du jeu. Et je ne peux pas échouer. Pas cette fois.

Je me rappelle encore ce jour comme si c'était hier. J'avais quinze ans, une adolescente insouciante, croyant que la justice triomphait toujours. Mon père, avocat lui aussi, m'avait appris à respecter la loi, à croire en son pouvoir. Mais quand il a voulu s'opposer aux Walsh, il n'avait aucune idée de ce à quoi il faisait face. Ils l'ont anéanti. Pas seulement lui, mais tout ce qu'il avait construit, notre famille, nos rêves. Un homme brisé par le pouvoir, par la corruption. J'avais juré de ne jamais oublier.

Un coup léger sur la porte interrompt mes pensées. Clara, ma secrétaire, entre discrètement. Elle est jeune, ambitieuse, une version plus naïve de ce que j'étais à son âge.

« Maître Santini, vous avez une réunion dans dix minutes avec le conseil de Walsh Industries. » Elle hésite un instant, comme si elle sentait la tension qui émane de moi.

« Merci, Clara. Je t'y rejoins. »

Elle s'éclipse aussi vite qu'elle est apparue, me laissant seule avec mes pensées. Cette réunion est cruciale. C'est la première étape de mon plan, celle où je me présenterai comme leur alliée, une avocate brillante prête à défendre leurs intérêts. Ils ne savent pas qu'en réalité, je suis ici pour les démolir.

Je me lève, passe une main sur mon tailleur pour en chasser les plis invisibles, et attrape le dossier. Chaque mouvement est calculé, chaque geste précis. Le masque de l'avocate. Il est parfait, inébranlable. Mais en dessous, la jeune fille blessée par le passé ne cesse de me rappeler pourquoi je fais tout cela.

Je me dirige vers la salle de réunion, où les représentants de Walsh Industries m'attendent. Ils ne savent pas que je suis déjà leur ennemie. Mon cœur bat plus fort à l'idée de ce qui va suivre, mais je garde le contrôle. Il le faut. La vengeance n'est pas un sprint, c'est une course de fond, et je suis prête à courir jusqu'au bout.

Les portes de la salle s'ouvrent, et je sens immédiatement le poids des regards sur moi. Des hommes en costumes impeccables, des sourires froids et calculés. Ce sont des experts en manipulation, des maîtres dans l'art de la dissimulation. Mais je le suis aussi. S'ils savaient à quel point ce sourire que je leur adresse est tout aussi faux que le leur, peut-être prendraient-ils peur.

« Mademoiselle Santini, un plaisir de vous rencontrer enfin. » L'un d'eux, probablement le chef de leur conseil, me tend la main.

Je lui serre la main avec assurance, un sourire poli aux lèvres. « Le plaisir est pour moi. J'ai beaucoup entendu parler de vous. »

En réalité, ce que j'ai entendu à leur sujet est bien plus sinistre, mais il ne le saura jamais. Pas maintenant. Ce n'est que le début, et dans cette partie d'échecs, chaque coup doit être stratégique.

Ils m'invitent à m'asseoir, et je prends place au centre de la table, mon dossier soigneusement posé devant moi. La réunion commence, des discussions sur des contrats, des litiges à gérer, des stratégies légales pour renforcer leur empire. Tout cela fait partie du jeu, des manœuvres pour asseoir leur domination. Je les écoute attentivement, réponds avec précision, tout en notant mentalement chaque faiblesse, chaque point que je pourrai exploiter plus tard. Chaque information est une arme, et je me prépare pour la guerre.

Mais même en plein milieu de cette réunion, un coin de mon esprit reste rivé sur le passé, sur cette promesse silencieuse que je m'étais faite. Je ne laisserai jamais les Walsh s'en tirer. Ce qu'ils ont fait à ma famille... Ce qu'ils m'ont pris... Ils paieront.

La réunion se termine. Ils se lèvent, me serrent la main, satisfaits de notre collaboration naissante. Si seulement ils savaient. Mais ils ne savent rien.

Je quitte la salle, le sourire toujours en place, mais à l'intérieur, je ne ressens aucune satisfaction. Ce n'était qu'une étape, qu'un pas de plus sur le chemin que j'ai tracé. La partie est loin d'être terminée, et je sais que plus elle avancera, plus il sera difficile de garder ce masque en place.

Mais pour l'instant, je n'ai pas d'autre choix. Le masque de l'avocate reste.