---
**Chapitre 2 : Le poison dans les veines**
La maison était plongée dans un silence oppressant. Seuls les gémissements sourds provenant de la chambre de ma mère perturbaient l’atmosphère. Je savais qu’elle était là, étendue sur son lit, un verre à la main, complètement déconnectée de la réalité. Depuis des années, c’était ainsi. L’alcool avait pris le contrôle, et il ne restait plus grand-chose de la femme qu’elle avait été autrefois.
Je la regardais parfois, essayant de me souvenir d’elle avant… avant que tout ne s’effondre. Mais ces souvenirs étaient flous, comme s’ils appartenaient à une autre vie.
Je descends les escaliers et, machinalement, je me dirige vers la cuisine. Les bouteilles vides jonchent la table, témoins silencieux de sa dépendance. Je soupire en voyant tout ce désordre. Il fallait que je nettoie avant que mes frères et sœurs ne descendent. Ils n’avaient pas besoin de voir ça. Ils avaient déjà assez souffert.
— Shpresa… murmure une voix éraillée derrière moi.
Je me retourne. Ma mère est là, titubant dans l’encadrement de la porte, une bouteille de whisky à moitié vide à la main. Ses cheveux sont en bataille, ses yeux rougis par les larmes et l’alcool.
— Tu es déjà debout, lui dis-je en m’approchant prudemment.
— Où sont les enfants ? demande-t-elle, d’une voix traînante.
— Ils dorment encore, répondis-je. Pourquoi ne vas-tu pas te reposer aussi ? Je m’occupe de tout.
Elle éclate de rire, un rire amer qui me transperce le cœur.
— Toi… t’occuper de tout, hein ? Tu crois que tu es capable de porter ce fardeau, Shpresa ? Tu n’es qu’une gamine !
Je serre les dents, essayant de garder mon calme. Ce genre de scène était devenu courant. Elle cherchait toujours à m’atteindre, à me rappeler que je n’étais rien. Parfois, je me demandais si elle le pensait vraiment ou si c’était l’alcool qui parlait pour elle.
— J’ai pas le choix, maman, répliqué-je doucement.
Elle me fixe pendant un long moment, comme si mes mots venaient de la frapper en plein cœur. Puis, sans dire un mot, elle lève la bouteille à ses lèvres et en boit une longue gorgée. Je détourne les yeux, incapable de la regarder plus longtemps.
---
**Flashback : Cinq ans plus tôt**
Je me revois dans cette même cuisine, un soir d’hiver. J’avais treize ans, et je me tenais là, aux côtés de ma mère, qui, à l’époque, était encore un semblant de ce qu’elle avait été. Elle n’avait pas encore complètement sombré dans l’alcool, mais les signes étaient déjà là.
— Shpresa, chérie, va chercher ton frère, disait-elle d’une voix douce. Le dîner est prêt.
Je m’exécutais sans hésiter. À cette époque, elle avait encore des moments de lucidité, des moments où elle ressemblait à une vraie mère. C’était rare, mais je vivais pour ces instants où, l’espace de quelques heures, elle semblait revenir à nous.
Mais ce soir-là, alors que je montais les escaliers pour appeler mon frère, j’entendis des éclats de voix dans le salon. Mon père était là, debout, furieux, et il criait après ma mère.
— Tu ne vaux rien ! Tu entends ? Rien ! Tu n’arrives même pas à gérer cette famille !
J’étais paralysée, incapable de bouger. Les larmes me montaient aux yeux, mais je ne pouvais pas m’interposer. Je n’étais qu’une enfant. C’est à ce moment-là que j’ai compris que quelque chose s’était brisé entre eux, quelque chose d’irréparable.
Ce fut la dernière fois que mon père franchit le seuil de notre maison.
---
Le son d’un verre qui se brise me ramène à la réalité. Ma mère a laissé tomber sa bouteille sur le sol. Je m’empresse de ramasser les morceaux, mais elle m’attrape soudainement par le bras.
— Pourquoi tu restes là, hein ? Tu pourrais partir, toi aussi… comme ton père.
Je sens mes muscles se tendre. Chaque mot qu’elle prononce est une lame dans mon cœur. Elle ne le sait pas, mais je pense souvent à partir. M’échapper de cette maison, de cette ville. Mais je ne peux pas. Pas tant que mes frères et sœurs ont besoin de moi.
— Je ne partirai pas, maman, dis-je doucement. Je ne suis pas comme lui.
Elle me relâche, et ses yeux se remplissent de larmes. C’est un spectacle que je connais trop bien. La culpabilité, suivie par l’effondrement. Elle n’était plus qu’une ombre d’elle-même, et malgré tout, elle restait ma mère.
— Shpresa… murmure-t-elle, la voix brisée. Je suis désolée…
Je ne réponds pas. Ces mots, je les ai entendus des centaines de fois. Ils ne veulent plus rien dire. À cet instant, je veux juste qu’elle retourne dans sa chambre et qu’elle me laisse en paix.
Elle titube vers la porte, sans un autre mot, et disparaît dans le couloir sombre. Je reste là, debout au milieu de la cuisine, entourée de ce désordre. Mon souffle est court, et pendant un moment, je me demande si je vais pouvoir tenir encore longtemps. Mais je n’ai pas le luxe de flancher.
Je termine de nettoyer les débris de verre, puis prépare rapidement le petit déjeuner pour mes frères et sœurs. C’est dans ces gestes simples que je trouve un peu de réconfort, un semblant de contrôle sur ma vie. Chaque jour est une bataille, mais pour eux, je suis prête à me battre jusqu’au bout.
Alors que je m’apprête à monter les escaliers pour les réveiller, mon téléphone vibre dans ma poche. Je l’attrape et lis le message qui vient d’apparaître sur l’écran. Un numéro inconnu.
**"Deux jours, Shpresa. Ne l’oublie pas."**
Mon cœur se serre. Marco.
Je respire profondément et range le téléphone. Il faut que je me concentre sur l’essentiel. Mes frères et sœurs. Le reste, je trouverai un moyen de m’en sortir plus tard. Mais une chose est claire : je ne laisserai pas Marco détruire ce que j’ai construit. Pas cette fois.
---
Fin du chapitre 2.
---