Les imposantes falaises de pierre recouvertes de mousse verte semblaient prendre appui au plus profond de l'eau et s'étendre jusqu'à en toucher le ciel.
Les premiers rayons de soleil, eux, filtraient à travers l'eau claire du ruisseau, éclairant les parois rocheuses de reflets bleus qui se mouvaient au gré du courant.
À la surface flottaient quelques nénuphars parsemés de petites fleurs rouges au pistil jaune éclatant, offrant de quoi se reposer aux divers grenouilles et crapauds qui y vivaient.
Un véritable écosystème s'était implanté en ces lieux, rendant l'endroit idyllique, couvert de cette aura aux reflets de paradis.
Les falaises s'étendaient jusqu'où la vision pouvait s'arrêter, sorte de grand tunnel sans fin. Le cours d'eau, au fond invisible, empruntait lui aussi ce chemin surplombé d'un escalier de pierre abîmé, authentique relique témoignant de l'ancienneté du paysage.
Brisant le silence apaisant qui y semblait installé, des bruits de pas retentissaient, échos portés par les parois des immenses roches. Certains retentissaient fort, tandis que d'autres semblaient s'étouffer.
Des mouvements saccadés, imprécis, hésitants, silencieux, mais surtout tristes. Des femmes et des hommes aux corps abandonnés, âmes errantes de ce monde visiblement parfait.
Des lamentations, longues plaintes déchirantes résonnaient dans le vide, ne trouvant jamais la réponse tant attendue.
Condamnés à vivre pour l'éternité dans ce paradis fait de bleu et de vert, ils pleuraient. Ils pleuraient leur vie passée, leurs proches endeuillés, ainsi que les choix qui les avaient tous menés là.
Des péchés, des crimes, mais aussi et surtout des regrets.
Ils revoyaient au fond de leur cœur une enfance joyeuse. Puis, un incident, un déclic, qui les faisait tous basculer dans le côté le plus sombre de la vie, celui que personne ne méritait de connaître.
Ces images revenaient en boucle dans leur tête, ne leur offrant jamais le repos pourtant mérité, après toute cette torture endurée.
Le reste était confus, mais surtout douloureux. Et pourtant, tous savaient ce qu'ils avaient fait, tout était gravé dans la moindre parcelle de leur corps décharné. Ils n'avaient pas voulu que cela se passe comme ça. Leur corps les avait poussés à faire du mal, alors que leur esprit, simplement malheureux, leur avait toujours dicté le contraire.
Ils pleuraient, oui, car ils souffraient ; ils avaient peur de ne jamais ressentir à nouveau une once de bonheur ou de chaleur.
Ainsi, ils refusaient de voir. Ils refusaient de lever leurs yeux vitreux de leurs pieds pour se rendre compte de l'aura lumineuse qui venait les visiter un à un.
Elle n'avait pas de nom, mis à part celui que les autres lui avaient donné, pas d'identité, et n'avait jamais aspiré à autre chose. Elle vivait partout, mais n'était domiciliée nulle part.
Comme l'eau, elle se mouvait ; son corps, aux formes plutôt imprécises, semblait être la plus belle chose n'ayant jamais existé.
La Résilience.
Elle aidait les autres, ceux qui ne se rendaient pas compte que le temps n'avait en réalité jamais figé leur âme.
Elle allait et venait, saisissant la main de ceux qui hurlaient. Personne n'avait jamais tenté mis à part elle, tous ceux qui l'avaient précédée pensaient que ces hommes et femmes au esprits perturbés n'étaient que des cas impossibles à traiter.
Résilience était la seule à essayer, et la seule à les sauver. Il fallait seulement faire preuve d'ouverture d'esprit et de compréhension.
Alors, pour la première fois depuis qu'ils étaient arrivés en ces lieux, les désillusionnés levaient les yeux.
Ils voyaient, elle leur montrait. Elle leur montrait la chaleur d'une étreinte, la tendresse du baiser d'une mère, l'éclat de joie provoqué par le rire d'un enfant, ou plus simplement, les courts moments et les choses pourtant si simples qui rendaient heureux.
Les teintes ternes et obscures qui couvraient leurs yeux laissaient place à un éclat doré et ils semblaient de nouveau enfin sentir les rayons du soleil caresser leur peau, le vent secouer leurs cheveux. Ils prenaient tout juste conscience du mouvement de leur corps.
Sans même s'en rendre compte, les résiliés se mettaient à rire. Ce n'était pas assez fort pour percer les lamentations des autres, mais ils semblaient pourtant redécouvrir ce qu'était la vie, même en étant passé de l'autre côté.
Alors, doucement, leur corps s'évaporait en une douce lumière, n'ayant plus rien à faire dans ce lieux désolé, qu'ils avaient côtoyé pour la plupart si longtemps.
Résilience ne savait pas où ils se rendaient, mais elle avait conscience que c'était dans un monde plus doux où chacun aurait le droit à une seconde chance.
Elle leur avait montré ce que valait réellement la vie. Elle avait absorbé leur détresse, qu'elle enfouirait au plus profond de son cœur. Jamais la douleur accumulée ne serait suffisante pour la faire basculer à son tour.
Telle était la tâche que mère nature lui avait confiée, telle était ce à quoi sa propre vie aspirait, ce qu'elle avait toujours aimé faire.
Sauver les autres. Ce n'était pas compliqué, il fallait juste écouter ; être sensible à la douleur de ceux qui n'étaient pas assez entendus.
Résilience continuerait alors à sauver ces âmes décharnées pour l'éternité, petite mais douce lumière dorée dans ce paradis mortifié.