Chapitre 1

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Allongé dans mon lit, j'attends. Je ne sais pas vraiment quoi. Cela fait des jours que je ne donne ni demande de nouvelles. Mes longs cheveux noirs sont emmêlés, mes yeux noirs n'expriment rien, mes habits sentent mauvais car cela doit faire des jours que je ne me suis pas lavé. Dégueulasse et non souhaité. Un naufragé qui attends la mort, peut-être. Ou juste un jeune paumé qui ne sait pas s'entretenir.

- Colin, on a reçu ton bulletin ! Descends tout de suite !

La voix de mon père. Il est en colère. Cela fait des mois que je ne travaille plus vraiment, ils le voient, je le vois, tout le monde le sait. Alors pourquoi faire semblant d'être touché, maintenant ? Je visualise son air froid et méchant. Non, je ne veux pas encore voir ça, cette déception, cette haine à peine contenue. Alors je descends et me traîne jusqu'au salon, où mes parents m'attendent. Ma mère a l'air triste, mon père en colère. Je m'assois sur le siège en face d'eux et les laissent me déverser leur flot de paroles blessantes. Je n'entends plus vraiment, j'attends que c'est fini. Cela se résous par une gifle retentissante, une protestation de ma mère et le départ de mon père. J'allais retourner sur mon lit mais je sens mon téléphone vibrer dans ma poche. Magalie. J'avais oublié qu'une personne se souciait encore de moi sur cette Terre. Mal à l'aise, je m'isole dans un coin sombre de la maison, où mon père range son vin.

- Allô ?

- Allô ?! J'étais à deux doigts d'appeler la police !

Au bout de trois jours sans nouvelles ?

- ça ne fait pas si...

- N'ose même pas essayer.

-... d'accord. J'ai eu mon bulletin.

Un silence. Elle comprends.

- Tu sais que je suis là hum ?

Je le sais. Je la visualise, marchant avec difficulté, un boulet à son pieds. J'aurais préféré qu'elle ne tienne pas à ce que ce boulet soit si solidement accroché. Pense-t-elle seulement à prendre soin d'elle ?

- Toi ça va ?

- Mais oui. Tu sais quoi Colin ? Je passe te prendre dans, disons, un quart d'heure.

- Mais...

- J'envoie un message à ta mère, t'inquiète je gère les parents. Prépare-toi.

Je ne suis pas habitué aux surprises. Je reste un instant à fixer le téléphone, puis je m'exécute. Mes parents n'acceptent pas que je sorte , mais curieusement, Magalie savait toujours les persuader de me laisser la voir. Une fois mes cheveux tant bien que mal peignés, je m'asperge de parfum et, au bruit de klaxon, descends.

- J'y vais. Dis-je d'une petite voix, sans espérer de réponse

A la sortie, le soleil me donne une violente migraine. Il faut dire que je passe mon temps dans ma chambre, les rideaux fermés. Sans commentaire, Magalie vient m'aider à monter dans sa voiture. Heureusement pour moi, les vitres sont teintées. Elle me passe des lunettes de soleil que je m'empresse de mettre, reconnaissant.

- Où va-t-on ? je demande d'une petite voix

- Surprise !

Ma curiosité ne va pas plus loin. De nouveau, je me mets à attendre. Je crois que Magalie essaie de me parler, mais c'est trop joyeux pour que mon attention puisse s'y attarder. Au bout d'un moment, elle arrête et je culpabilise. Un bon ami aurait écouté. Je suis vraiment le plus nul de tous. Ma disparition serait préférable pour tous. Si seulement j'avais assez de volonté pour la préparer.

- On y est !

Perdu dans mes pensées, je n'avais pas réalisé que la voiture était à l'arrêt. Avec une pointe d'inquiétude envers ce mystérieux endroit, je regarde par ma vitre. L'herbe est entretenue, les fleurs sont tournées vers le soleil, le bâtiment ancien se trouve au milieu de l'eau, le pont pour y accéder semble usé mais charmant. La bibliothèque de ma ville, aka mon lieu préféré sur Terre. Les larmes coulent toutes seules. Magalie se rend compte de mon émotion et se met à m'enlacer. Je suis soutenu. Ma carcasse invivable est appréciée. Ensemble, nous descendons de la voiture et nous dirigeons vers l'intérieur. L'odeur des pages, vieilles et neuves, assaillit mes narines. Comblé, je me dirige vers le pouf du fond qui heureusement est disponible aujourd'hui. La vue que m'offre la fenêtre est belle. Magalie vient s'asseoir à côté de moi. Elle me montre alors un edit tiktok, avec le son baissé. C'est un edit d'un acteur connu, je crois. Occupé à faire une danse idiote. Complètement idiote. Tellement que j'émets un genre de rire avant de m'arrêter, sur le coup de la surprise. Cela faisait longtemps que je n'avais pas rit.

- Gabriel Cormier te fait rire ? Attends, je vais regarder si je trouve d'autres vidéos !

Devant son enthousiasme, je n'ai pas le cœur de protester, même si je ne suis pas sûr de vouloir voir d'autres vidéos. Cependant, je me retrouve vite surpris par la quantité de vidéos qui arrivent à me soutirer un sourire. Il ne fait pas que danser le bougre, il chante complètement faux, il fait des grimaces particulières, il a un rire cristallin et aime parodier les trends. Puis ça me revient ! Je l'avais vu dans un film dans mon enfance. Et dans un autre, la dernière fois que Magalie m'avait traîné au cinéma, même s'il avait un rôle mineur.

- Je suis désolée de casser ta bulle mais on doit y aller. Tu sais, tes parents.

Comment Magalie pouvait être autant la libératrice que la geôlière ? Non, c'était injuste. Je ne pouvais pas lui reprocher de respecter les conditions imposées par mes parents. En silence, nous partons de la bibliothèque et après un court trajet, nous voilà chez moi.

- Tu sais que je suis là pour toi, d'accord ?

- Ouai. Moi aussi. dis-je, la gorge serrée à l'idée de rentrer

Néanmoins, il me faut y aller. Alors d'un pas lourd, je me dépêche de rejoindre la porte, en évitant de me retourner pour ne pas rebrousser chemin.

*

Cela doit bien faire une heure que je suis occupé à lancer ma balle de tennis contre le mur. Soudain, la porte de ma chambre s'ouvre. Je suis pris sur le fait, à rattraper de justesse l'objet. Mon père me regarde avec une visible envie de me massacrer. Je n'ai pas besoin de mots pour savoir que je dois arrêter. Il s'en va. Je suis tenté de le défier en continuant mon jeu, mais décide de ne rien faire. Au lieu de ça, je repense à ces vidéos que Magalie m'a montré. J'aurais bien besoin de rire un peu. Alors je tape le nom de Gabriel Cormier sur internet. Je n'ai pas le courage de lire des articles sur lui, donc je me dirige immédiatement vers la section vidéos. Je découvre plusieurs interviews, amv et extrait de rôle. Quelque chose d'intouchable semble m'empêcher d'arrêter. D'un coup, je regarde l'heure. 17H15. Avec un sourire en coin, je me connecte sur Netflix et décide de voir s'il n'y a pas un film de lui. Je le vois, je le regarde. Je suis passé par toutes les émotions. J'ai pleuré, j'ai rigolé, je me suis amusé, j'ai été dégoutté et je me suis senti investi dans la romance principale. Il jouait le rôle d'un gars qui faisait faillite, qui avait décidé d'en finir mais qui rencontre une jeune femme qui change tout. Malgré le sujet sensible, le film montrait que la vie pouvait continuer. Et cela me touche plus que je ne voudrais l'admettre. Je reçois un sms de Magalie. Je souris en le lisant : elle m'invite chez elle. Elle semble décidée à ne pas me lâcher. Mais un nouveau coup d'œil à l'horloge me fait perdre mon sourire : c'est l'heure de manger. Je veux rester dans ma bulle, mais je n'ai pas le choix. Lentement je descends. Les pâtes au fromage sont bonnes, j'ai de la chance de pouvoir les manger dans le silence.

- Cette Magalie commence à beaucoup en demander.

Nous y voilà, mon père a troublé le silence d'un air sentencieux. Le maître a parlé. Ma meilleure amie a formulé la demande de trop.

- Une sortie tout à l'heure, une visite demain... Elle veut que tu ailles habiter chez elle ?

En fait, oui. Mais mieux valait ne pas le dire.

- Colin a des amis, c'est une bonne chose. Je suis sûre que Magalie ne pensait pas à mal.

- Elle viendra me chercher. j'ajoute, d'une voix timide

J'aurais voulu être affirmé.

- Encore heureux qu'elle vienne te chercher, manquerait plus que ça. En tout cas, tu peux lui dire demain que c'est la dernière fois du mois que vous vous voyez.

J'ai 21 ans, il ne devrait pas me dire cela. On est au début du mois en plus. Sans rien dire, je continue de manger. Heureusement pour moi, mon père ne relève pas. Je me réconforte en me disant que le lendemain je verrai Magalie.

*

Je mets mes chaussures, pressé. Je dis au revoir à ma mère, me sentant reconnaissant de son intervention de la veille. Puis je sors. Magalie est garée sur le trottoir d'en face. J'avance, j'oublie de regarder la route avant de passer, puis une voiture passe à toute vitesse et me percute de plein fouet.    

La fin est un débutOù les histoires vivent. Découvrez maintenant