Ally sans vie

Réveille-toi

Elle ouvre les yeux, paniquée. Elle est dans l'eau froide du lac.

Elle agite les bras et les jambes pour remonter à la surface. La lumière est si loin. Puis, continuant ses mouvements , la lumière du jour et le ciel sont de plus en plus nets et elle finit par atteindre la surface.

À sa sortie de l'eau, elle se met à courir en direction de chez elle, où sa mère doit l'attendre depuis des heures.  Sa mère doit être morte d'inquiétude. Ally n'a pas pour habitude de ne pas rentrer après les cours.

Au bout de quelques minutes à courir dans la forêt environnant le lac, apeurée, elle s'arrête et remarque quelque chose : elle n'est pas essoufflée. Pourtant, la simple idée de devoir monter les escaliers la fatigue.  Elle essaye de prendre son pouls mais rien. Elle place alors deux doigts sur son cou juste en dessous de son oreille et elle ne sent rien. Elle n'a plus de pouls et n'est pas essoufflée. Combien de temps est-elle restée dans le fond du lac ? Elle ne sait pas. Mais une chose est sûre : quand son jeune camarade Jordan l'a poussée pour qu'elle saute, Ally est morte. Face à cette réalité, Ally se demande :

" Comment je peux être morte alors que je n'ai passé que quelques secondes dans le lac ? " 

Elle se remet à courir, terrifiée, les feuilles sèches craquent sous ses pas martelant le sol et le bruit des battements d'ailes des oiseaux qui fuient sa course résonnent autour d'elle. Pendant sa chute, juste avant de toucher la surface de l'eau, elle se rappelle avoir pensé :

" Si ma vie s'arrêtait, y aurait t-il quelque chose après ou simplement je n'existerais plus ? Serais-je un esprit qui vagabonde ou se serait-il effacé, estompé ? ".

Après quelques minutes de plus à courir, Ally décide de ne pas en parler à sa mère. Elle la prendrait pour une folle. Elle est en constante rébellion avec sa famille. Ils ne la comprennent pas, ils veulent qu'elle fasse des études mais elle ne veut pas de cet avenir. Elle est passionnée par ce qu'il se passe après la mort et la lecture car sa vie ne lui plaît pas vraiment. Elle en veut à son père de travailler autant, elle trouve que sa mère est trop à la maison et il y a sa petite sœur de 10 ans, qu'elle aime énormément. Quand sa petite sœur est née, Ally était aux anges. En grandissant, elle a joué avec elle, lui a raconté des histoires et lui a fait des câlins, heureuse de ne plus se sentir seule.

Enfin, une fois sortie de la forêt, elle voit les tuiles rouges du toit de sa maison. Elle court encore quelques mètres, finit par ralentir et ouvre la porte d'entrée entourée de lierre. Elle referme la porte et se remet à courir en direction de sa chambre pour s'y réfugier, gravissant les marches de l'escalier quatre par quatre puis ferme la porte à clef. Elle s'adosse alors contre la porte avant de s'en éloigner pour réfléchir aux événements passés.

Maintenant, faisant les cent pas dans sa chambre, elle réfléchit et se demande pourquoi Jordan l'a poussée du rocher.

Depuis toutes ces années, lui et ses amis l'ont prise pour cible. Ils lui jettent des choses dessus quand ils sont en classe et ils lui ont donné le surnom de Allyen car elle n'est pas comme les autres filles de sa classe. Elle ne s'intéresse pas aux garçons et ne veut faire partie d'aucun groupe de jeunes. Soudain, l'arrachant à ses pensées, une voix se fait entendre :

- Ally Sparks où étais-tu passée ?! On s'est inquiétés toute la nuit ! Tu as un téléphone, il te sert à quoi ?

Voilà ce que sa mère hurla de l'autre côté de la porte en bois.

- Je suis désolée Maman, je n'ai pas vu le temps passer.

Elle n'a pas entendu les pas de sa mère monter les marches de l'escalier.

- Tu n'as pas vu le temps passer ? demande sa mère d'un air sarcastique. Tu te fous de moi ou quoi ? Toute une nuit et tu n'as pas vu le temps passer ! Où étais-tu ?

- J'étais au lac.

C'est la vérité, elle était au lac. Mais il vaut mieux éviter de parler du fond du lac.

D'une voix plus douce, sa mère lui dit :

- Ally, qu'est-ce qui ne va pas ? On t'a encore embêtée à l'école ? Tu peux me parler ma chérie. Tu sais, quand tu seras à la fac, ça ira mieux. Les études m'ont vraiment aidée !

Ça, Ally le sait. Sa mère lui répète tout le temps. Elle s'est mise dans les études puis elle a rencontré son père. Ils sont tombés follement amoureux. Ally trouve ça vraiment gnangnan. Pour elle, l'amour c'est comme une prison.

Agacée par les paroles de sa mère, elle ouvre la porte de sa chambre et passe sous son nez sans même la regarder puis se dirige vers la salle de bains pour essuyer ses cheveux humides. 

Soudain, le téléphone de sa mère sonne. Ally, frottant lentement sa chevelure avec une serviette usée en coton, entend une moitié de la discussion :

- Oui, elle m'a dit qu'elle avait passé la nuit au lac et rien de plus. Non, je ne sais pas avec qui elle était. Elle ne veut jamais me parler. Tu auras qu'à lui demander quand tu rentreras. Je vais appeler le collège pour leur dire qu'elle est malade.

Puis d'une voix plus basse, elle dit :

- Je ne comprends pas ce que j'ai fait de travers avec elle. Tu vas me dire que c'est l'adolescence mais quand même. D'accord, bonne journée, à ce soir.

L'appel terminé, Ally entend alors les pas de sa mère s'approcher de la porte de la salle de bains, qui s'adresse à Ally sur un ton bienveillant :

- Ma chérie, tu resteras à la maison aujourd'hui. Tu peux te reposer si tu veux.

Ally sait très bien que si sa mère l'autorise à rester à la maison, c'est juste pour garder un œil sur elle. Elle n'est pas idiote.

La matinée finie, voilà l'heure de manger et comme d'habitude, elle entend sa mère frapper à la porte de sa chambre. Elle est allongée sur son lit, les yeux fermés, puis sa mère, s'asseyant auprès d'elle, pose sa main sur sa joue en lui disant :

- Ma chérie, réveille-toi et viens manger.

- J'arrive. répondit-elle avec une voix faible. 

- Mais tu es glacée ! Attends, tiens, mets ça sur toi.

Elle ne pouvait pas remarquer que sa température avait changé. Elle se sentait bien.

Sa mère lui tend la petite laine enveloppant ses épaules pour qu'elle puisse se couvrir un peu. Ally se relève alors, la prend et la met à son tour sur ses épaules. Sortant toutes les deux de la chambre, elles descendent des escaliers.