Chapitre 36

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Peter tenait fébrilement sa fourche entre ses mains. Les cheveux encore ébouriffés, le garçon, à bout de force, luttait tant bien que mal pour achever son travail. Son corps endolori lui rappelait sans cesse ses ébats interdits avec le marquis. Il se mordit la lèvre lorsqu'il repensa au plaisir insoutenable qu'il avait ressenti. Peter ignorait tout du corps humain, il lui était inimaginable de jouir de tels plaisirs, à de tels endroits et de plus, entre les mains d'un homme qu'il se devait de détester. Mais ce qui tourmentait par-dessus tout Peter, c'était ce que le noble lui avait chuchoté à l'oreille dans la nuit. Se jouait-il à nouveau de lui ? Le marquis savait-il qu'il était toujours éveillé et voulait le tourmenter davantage ? Au nom de quelle folie, le noble voulait-il lui faire croire qu'il pouvait être quelque chose de plus à ses yeux qu'un bas-de-naissance ? Et pourquoi, diable, Peter s'en souciait tant ? Le garçon passa sa main sur son visage, désespéré. Je vais devenir fou, pensa-t-il.

Les sermons de son prêtre lui revinrent à l'esprit. Il savait ce que le divin réservait aux sodomites. Peter se refusait de penser qu'il pouvait d'une manière ou d'une autre, faire partie de ces hommes dépravés. Peter ferma les yeux, il bougea lentement ses lèvres, priant le Seigneur de lui venir en aide.

-Ca va Peter ?

Wilfried qui ratissait l'un des box, l'observait, suspicieux. Le teint blafard du garçon ne lui avait pas échappé. Peter acquiesça silencieusement la tête. L'absence de Monsieur Blackburn résonnait dans les écuries.

-C'est tout de même étrange, l'histoire que Madame Vickridge nous a racontée... J'ai dû mal à imaginer M'sieur Blackburn quitter soudainement son poste pour l'Ecosse, non ?

Peter se raidit devant la question de Wilfried. Il avait tenté d'occulter cette scène sanglante de son esprit, en vain. Il leva la tête pour lui répondre et aperçut le garçon scruter sa nuque, les sourcils froncés. Le sang remonta aux joues de Peter lorsqu'il se souvint des suçons du marquis, laissant d'odieuses marques sur son cou.

-Je...Il faut que je sorte prendre l'air.

Toujours sous le regard indiscret de Wilfried, Peter sortit, chancelant. Il aperçut au loin son amie Mary Shelley s'approcher des écuries. Soulagé d'enfin retrouver son amie, il se précipita vers elle. Comme, à chaque fois qu'ils se voyaient, ils se jetèrent dans les bras l'un de l'autre.

-Peter ! Je suis venue aux nouvelles, tout le domaine ne parle que de ça, tu es devenu le nouvel écuyer du Maître !

Les yeux de la jeune fille s'écarquillèrent, émerveillée par l'ascendance soudaine de son ami. Peter réalisa alors qu'il devait être au cœur de tous les commérages du domaine, intensifiant davantage ses angoisses.

-Oui, euh, enfin on peut dire cela comme ça mais Mary, je ne crains que le prix soit très cher payé. Je commence à avoir des pensées immorales, je crois perdre la tête.

Mary, inquiète, regarda son ami qui semblait préoccupé. Son regard descendit jusqu'au cou du garçon.

-Peter, je crois que tu devrais mettre de la poudre sur ta nuque. Les autres hommes ne devraient pas voir cela, ils ne t'en voudront que davantage.

Le garçon se précipita pour plaquer sa main contre son cou, terriblement honteux. Mary qui devinait l'embarras du garçon, se hâta de changer de sujet.

-Bon, Peter, je dois te dire quelque chose, je suis tombée amoureuse ! Devine, qui ! Thomas, oui, Thomas Hawke, l'un des gardes du domaine. Tu sais, celui avec la grosse barbe ?

Les joues de la jeune fille rougirent lorsqu'elle pensa à son bien aimé. Le temps d'un instant, Peter envia cette excitation qui émanait de Mary. Elle n'était pas condamnée à vivre sous le poids écrasant de la culpabilité comme il l'était. Son amie n'avait pas à penser au terrible châtiment qui l'attendait, aux flammes de l'enfer ou encore à la honte permanente. Elle jouissait de ces nouvelles sensations dans un bonheur, simple, pur, autorisé. Peter voulut lui en demander davantage mais des aboiements provenant des jardins les interrompirent. Les deux amis, intrigués, regardèrent en direction des agitations. Des gardes marchaient vers le bâtiment des domestiques, suivis de près par Lady Vickridge.

Le visage de Mary se décomposa, une terreur soudaine la paralysa, Peter comprit aussitôt que quelque chose de grave se passait.

-Que se passe-t-il ? demanda-t-il, l'angoisse montant en lui.

Mary resta muette, le visage pâle, ses yeux fuyants ceux de son ami.

-Viens, ordonna Peter, la prenant par le bras pour l'entraîner vers le bâtiment des domestiques où les cris et les ordres fusaient.

À leur arrivée, ils se mêlèrent à la foule des serviteurs attroupés devant le dortoir.

Les gardes fouillaient méticuleusement chaque recoin, renversant les affaires, tandis que Lady Vickridge, impassible mais autoritaire, supervisait les recherches.

-La chevalière du maître a disparu, annonça-t-elle d'une voix forte. Les dortoirs seront fouillés. Personne ne quittera cet endroit tant qu'elle ne sera pas retrouvée.

Un frisson parcourut Peter, et Mary, à ses côtés, devint livide. Il sentit la panique dans son souffle court, ses doigts tremblants légèrement.

Il l'attira à l'écart, loin des regards.

-Mary, qu'est-ce que tu as fait? demanda-t-il, la voix lourde de suspicion.

Elle secoua la tête, se mordant les lèvres, mais ses yeux trahissaient une terreur qu'elle ne pouvait plus contenir.

-Mary, dis-moi la vérité!

Finalement, elle éclata en sanglots, ses épaules secouées par le chagrin.

-C'est moi, avoua-t-elle dans un murmure. J'ai volé la chevalière.

Peter sentit son cœur se serrer, abasourdi par la confession.

-Pourquoi ? chuchota-t-il, incapable de comprendre. Qu'est-ce qui t'a pris ?

Mary leva des yeux désespérés vers lui, des larmes coulant sur ses joues.

-Je...Je j'ai tellement honte, Peter. Thomas et moi avions prévu de quitter ce maudit domaine, dès demain matin, j'étais sur le point de te l'annoncer.

Peter se passa la main sur le visage, le souffle coupé par cette révélation. Son amie, qu'il avait juré de protéger, s'était mise dans une situation désespérée.

-Non... murmura-t-il. Tu as fait une folie, le marquis va te tuer.

Mary s'écroula au sol, les larmes inondant son visage. Peter jeta un rapide coup d'œil aux alentours, s'assurant que personne ne voit son amie dans cet état. Soudain, il fut frappé par une révélation. Il était là, le signe qu'il avait demandé au Seigneur.

-La chevalière. Donne-la moi. Je vais la mettre dans mes affaires. 

L'amant du Marquis Où les histoires vivent. Découvrez maintenant