Tous les soirs comme à mon habitude, je sirotai mon café refroidi, un petit sandwich aux crudités dans l'autre main, ébloui des illuminations données par la tour Eiffel. Depuis que j'étais de passage sur Paris, ma routine se terminait toujours par un sandwich sur les marches du Trocadéro, et qui plus était toujours le même : sandwich crudités avec supplément poivrons. J'accompagnais toujours mon quotidien d'une – je disais une la vérité serait plusieurs plutôt – dose de caféine afin de combler le manque de sommeil dans mes veines.
Comme tout le monde, je travaillais jusqu'à pas d'heure et je vivais pour ma génération la vingtaine d'années, et ce qui généralement rimait avec ; comme n'importe qui je comblais mon sommeil déréglé avec du café. « Mon pauvre Rudy regarde-toi, tu tiens à peine sur tes deux jambes ! Tu devrais prendre des vacances avant que ta tête ne finisse comme une pastèque » me répétait souvent ma cheffe de service. « J'aimerais volontiers, mais je ne peux pas, je vis sans le sou actuellement » je lui répondais. Lorsqu'elle me répliquait la main sur le cœur « Vous me faites de la peine parfois les jeunes » je lui souriais, toujours faiblement, avant de replonger le nez dans mon ordinateur.
Or ces deux dernières semaines, la raison de mon manque de sommeil n'était nullement le travail : ma partenaire avait déménagé voilà une semaine depuis qu'elle m'avait confessée qu'elle était sortie avec un autre il y avait deux semaines. Et non pas qu'elle me manquait depuis, au contraire, je croyais que je ne ressentais plus rien pour elle depuis un long moment.
Seulement, et ce fut la raison de ma montée sur Paris d'ailleurs, j'étais habitué à sa présence chez moi, j'étais habitué à vivre avec quelqu'un sous le même toit. Alors depuis que seul mes affaires traînaient dans mon appartement, la solitude m'accablait ; elle me dévorait petit à petit, serrant une angoisse forte au fond de mon estomac, qui en vomissait parfois, quelques frissons le matin en sentant la froideur des draps, et une avalanche de sanglots le soir en rentrant du taf, où je me consumais jusqu'à tard, au point que ma cheffe elle-même m'avait posé une semaine de congés « Il est hors de question que tu noies ta peine de cœur dans le boulot jeune homme ! Dès ce soir, tu me débarrasses le plancher ! Et que je ne te revoie pas dans cet immeuble avant au moins deux bonnes semaines! » qu'elle m'avait ordonné.
Je fis mes valises le lendemain, direction ensuite Paris. Pourquoi Paris ? Je n'en savais rien, mais je voulais tout de même aller là-bas. « La capitale de l'amour pourrait réparer mon cœur brisé ? » M'étais-je dit sans doute.
Je continuai de siroter ma boisson, aussi amère que ma guérison, les mots de ma cheffe résonnant tels des échos dans une grotte. J'ignorais si elle donnait le même traitement à mes collègues, certainement la connaissant, elle avait ce côté humain que nul ne pouvait détester. Le ciel était bien noir ce soir. Le vent de novembre givrait mes oreilles ainsi que le bout de mon nez emmitouflés dans mon écharpe, signe qu'il était tant de rentrer à ma chambre d'hôtel.
Je me levai, entama le pas vers mon auberge, la circulation et quelques criquets rythmant ma marche solitaire. Un virage, puis un second, puis un troisième, qui lui n'était pas prévu. Je me sentais si seul ce soir que je décidai en fin de compte de passer la soirée dans un bar que j'avais découvert il y avait de cela quelques jours. Il était au coin de la rue, pris en sandwich par deux immeubles non loin d'une intersection. Par rapport à ma province, il était plus cher certes, mais l'ambiance y était si agréable, si fiévreuse qu'il m'importait de dépenser quelques euros en plus ; je devais noyer ma peine, j'avais un besoin vital d'oublier.
Je passai le pas de la porte, prenant soin de la refermer au passage de peur qu'elle ne claqua avec tout ce vent, avant de m'installer à une des tables aux tabourets m'arrivant aux hanches. Une serveuse au carré bleu et piercing septum vint m'accueillir avec un sourire littéralement éblouissant, elle avait deux canines argentées. Je lui commandai un Scotch après qu'elle ne me fasse remarquer que je ne lui étais inconnu. En effet, c'était elle qui s'était occupée de mes commandes la première fois que j'étais venu.
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French Love
Romance- "Pourquoi French Love ? Osai-je. - Tu me fais énormément penser à ce cocktail. Voilà pourquoi. - C'est marrant, ris-je jaune, c'est aussi le cocktail préféré de mon ex. "