Chapitre 0 - Le Terrier

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28 Octobre 2144

District 1, Lettre A


Vous n'êtes plus d'aucune utilité, Soldat 095A.

A-attendez... ! S'il vous plaît, je vous en p...-

Un seul coup de feu résonna, abrupt et implacable, perçant le silence glacial du Terrier. La détonation fut brève, presque une formalité. Soldat 095A s'effondra, son matricule effacé à jamais. Ce fut tout ce qu'il lui resta : un numéro, parmi tant d'autres. C'est un exécuteur, un membre du gouvernement, qui venait de tirer.


Voilà comment notre armée fonctionnait. Vingt-six lettres pour l'alphabet, cent soldats par lettre. Les soldats, des adolescents aux iris rouges, âgés de 5 à 17 ans, étaient répartis en vingt-six districts, de A à Z, chacun doté de ses propres missions et de ses propres champs de bataille. Dans cette structure, bien que 99 % d'entre nous fussent de simples soldats, un capitaine était désigné pour chaque lettre, portant le poids du leadership au milieu de ce chaos. Nous étions les 2600, mais derrière les grandes murailles, là où régnait le 27e District, vivaient les nobles et le gouvernement. Intouchables et protégés par des remparts massifs d'or et de marbre, ils demeuraient à l'abri des combats et des horreurs de la guerre qui faisaient partie de notre quotidien. Leur seul lien avec nous résidait dans les opérateurs avec qui nous étions en contact en ligne, ou dans les exécuteurs envoyés pour achever un soldat blessé, des ombres froides, sans cœur, qui ne comprenaient rien à notre lutte.


Les matricules ne restaient jamais longtemps vacants. La mort de l'un d'entre nous signifiait automatiquement l'attribution de son matricule à une nouvelle jeune recrue, fille comme garçon. Chaque jour, le cycle se répétait : des soldats tombaient, et de nouvelles âmes désignées prenaient leur place. La machine ne s'arrêtait jamais. On nous appelait les fantômes du champ de bataille, car nos noms ne signifiaient rien, seuls nos matricules comptaient. Pour nous, les soldats, les identités étaient un luxe que l'on ne pouvait se permettre.


Le bruit sourd de la porte métallique du bunker s'ouvrit avec un grincement. Un jeune homme entra, la silhouette droite et le regard perçant. Ses cheveux blancs encadraient un visage marqué par l'épuisement. Ses yeux rouges brillaient d'une lueur déterminée et froide. Son uniforme militaire brun, simplifié et dépourvu de tout ornement, était ajusté pour permettre une liberté de mouvement. Une arme en bandoulière pendait à son dos, un grand sac complétant le tout. C'était moi, Akihiko Nakimushi, matricule 047A. Je n'étais qu'un rouage de plus dans ce système cruel. Mais contrairement à beaucoup, j'avais encore un nom. Les plus jeunes, eux, n'avaient pas ce luxe.


L'obscurité de la nuit régnait à l'extérieur, et le vent soufflait, emportant avec lui les cris lointains et le parfum métallique du sang. Il y avait quelque chose d'effrayant dans ce silence, coupé par les rares murmures et le bruit des pas lourds des soldats fatigués. J'avais appris à ne plus écouter. À ne plus voir. Les ordres allaient tomber. Et lorsque l'on m'appellerait, je serais prêt. Prêt à tirer, prêt à me sacrifier. Prêt à me faire oublier. 

C'était ça, notre vie au Terrier

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