Qui suis-je ?

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Aussitôt, tous sortirent en trombe de la salle. Dans un brouhaha infernal, ils défoncent la porte et s'engouffrent dans le couloir. Petit à petit, le ramdam cède sa place à un chant fédérateur. Obstinés, ils piétinent sans discernement les deux figurines du petit garçon. Piégé dans l'ombre, Cassidy se tient la bouche. Quand la porte du magasin se ferme enfin, il se lève raidit comme du bois. Terrifié, il emporte ses figurines craquelées avec lui.

De retour dans la cour, Cassidy aperçoit un nuage de fumée noire s'élever. Dans des cris d'effroi perçant de derrière les murs, il rejoint un nuage d'orage dévorant le soleil. Le jeune garçon se remet tout juste de ce qu'il vient de voir. Bouche bée, encore dans le brouillard de la confusion, ses mains ne cessent de trembler.
Tout avait été orchestré, soigneusement ajusté. Que ce soit la disposition de la salle, le contenu du discours tout comme la gestuelle aérienne du leader. Le petit garçon, dans ses yeux innocents, ne peut s'empêcher de le revoir, planté comme un piquet,entonner son discours comme dans un refrain qu'il avait répété tant de fois que s'il le faisait les yeux fermé, il n'aurait aucune difficulté. Que la pièce de théâtre, calculée et millimétré tel un fabuleux spectacle, s'enfonce dans une dimension sinistre. Et de cet « ennemi » sous-entendu, fantomatique. À vrai dire, il n'y a que lui qui semble donner du sens à la présence de cette foule uniforme. Et ce spectacle dérangeant comprend son final grandiose. Un final horrifique, dont la simple idée d'une statue s'écrasant sur des innocents lui glace le sang.

Freedom, supporterait-il une telle chose ? Le petit garçon se gratte le front. Parcouru d'un frisson, il fixe ses figurines. Sinestro, dont le visage décomposé en est méconnaissable, a perdu son bras gauche. Il se dit qu'ils se battent contre lui, le vrai Sinestro. Mais il est censé croupir en prison. Il ne fera plus de mal à personne. Pourquoi lui en vouloir alors ? À moins que ce ne soit pas lui qui soit visé... Il se gratte le coude. Quant à Freedom, ses bras et ses jambes sont morcelés. Son flanc droit entier manque de se détacher. À cet instant, dans un écho tempétueux, le petit garçon revoit le troupeau de semelles lui passer sur le corps. Ce troupeau de bisons faisant vibrer le grillage comme dans une symphonie de l'enfer.

« - Cassidy ?

 Il aperçoit soudain un visage familier couvert de suie noire. Elle tenait sous le bras une plaque noire, légèrement craquelée.

- Cassidy ! Bon sang, qu'est-ce que tu fais ici ? Je me suis tellement inquiété pour toi.

 Il se rue dans ses bras. Sa chaleur bienvenue le réconforte et lui donne le temps de respirer un bon coup : 

- C'était quoi ce grand boum, Juliette ?

- Une bombe. Heureusement que tu n'étais pas là. La statue a été abattue. Tout a volé en éclats. Il y a du sang... Et des morts, partout. On se croirait en guerre... !

Elle entend du bruit. Des jeunes en uniforme bleu foncé. Le petit garçon reconnaît les costumes immédiatement. 

- Allons-nous en ! Les environs ne sont pas sûrs !
Il s'engouffre le premier dans le couloir étroit. Des voix s'élèvent derrière lui.

- Attendez. Ce ne sont pas les gamins des deux chouchou de Freedom ?
- Si je crois bien.
- J'irai bien en prendre un pour moi. Ils méritent d'avoir une bonne éducation. J'ai toujours voulu être un bon père de famille moi aussi...
- On s'est déjà occupé de leur cas avant ! Qu'est-ce qu'on va encore perdre notre temps à courir après de leurs garnements sans défense qui plus est ?! De toute manière, ils s'en fiche de ce qu'on en pense, de tout ça.

Malgré l'état de ses figurines, il les tient, plus fort que jamais. Sa sœur s'engouffre après lui :

- Ne vous déconcentrez pas ! Je m'en charge. Vous, vous pacifiez la ville et vous rejoindrez le peloton à l'heure convenue.
- Mais chef ? Vous ... ?
- Pas besoin ! C'est une affaire personnelle.

De profundisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant