L'Ombre de Palma

Un Passé caché

Clara parcourait les couloirs de la villa avec une sensation étrange d'irréalité. Malgré l'agitation autour d'elle  les policiers prenant des mesures, les techniciens de la scène de crime analysant les indices  tout semblait trop calme. Il y avait quelque chose de presque irréel dans ce décor de luxe baigné de lumière artificielle, comme si l'endroit refusait de révéler ce qui s'était réellement passé.
Au loin, elle aperçut un des invités de l'événement, appuyé contre le mur du salon, un verre à la main. Elisa Morvan, une auteure réputée pour ses thrillers psychologiques, semblait perdue dans ses pensées. Clara se souvenait d'avoir croisé Elisa lors de précédentes éditions du festival des Libraires. À chaque fois, elle avait imposé une présence calme et mesurée, à l'opposé d'Alma, dont la personnalité flamboyante dominait les conversations.
« Clara Vives, » murmura-t-elle pour elle-même. Elle savait que pour comprendre ce qui était arrivé à Alma, elle devait commencer par parler aux gens qui la connaissaient. Et Elisa était une bonne première piste.
Clara se rapprocha, s'efforçant de ne pas éveiller la méfiance de l'écrivaine.
« Elisa, je peux vous parler un moment ? »
Elisa leva les yeux, un sourire fatigué se dessinant sur ses lèvres fines. « Clara, bien sûr. Je me doutais que vous finiriez par venir. C'est terrible, tout ça... J'ai encore du mal à y croire. »
Clara observa ses yeux, essayant de déceler une émotion sincère. Mais Elisa avait cette capacité, que de nombreux auteurs possédaient, à masquer ses pensées derrière un visage impénétrable.
« Vous la connaissiez bien, n'est-ce pas ? » demanda Clara.
Elisa hocha la tête, son regard se perdant à nouveau dans le vide. « Pas autant que je l'aurais voulu. Alma avait ce don... pour captiver les foules, mais elle restait distante. Elle avait ce masque, vous voyez ? Celui qu'elle montrait au public et même à ses proches. »
Clara sortit son carnet et commença à prendre des notes. « Que voulez-vous dire par là ? Elle cachait des choses ? »
Elisa soupira, jouant nerveusement avec son verre. « Je crois qu'Alma avait peur. De quoi exactement, je ne saurais dire. Mais elle avait des moments où... je ne sais pas, c'était comme si elle n'était plus là. Elle disparaissait mentalement. » Elle fit une pause, comme si elle hésitait à dire plus. « C'est arrivé juste avant sa mort. La veille, elle semblait agitée, nerveuse, plus que d'habitude. Elle a fait une remarque étrange, mais je ne l'ai pas prise au sérieux. »
Clara fronça les sourcils. « Quelle remarque ? »
Elisa sembla hésiter. « Elle m'a dit : "Quelqu'un sait. Ils savent tout." C'était flou, mais je l'ai sentie terrifiée. »

En écoutant les mots d'Elisa, Clara ne pouvait s'empêcher de penser à ce carnet mystérieux trouvé parmi les effets personnels d'Alma. Des mots troublants y étaient griffonnés, des phrases interrompues, des fragments de pensées qui donnaient l'impression qu'elle se sentait constamment épiée, en danger. Cette découverte n'avait pas encore été rendue publique, et Clara savait que c'était l'une des pièces maîtresses de ce puzzle complexe.
Elle quitta Elisa avec un sourire aimable, puis se dirigea vers la chambre d'Alma, espérant y trouver plus d'indices. Le décor contrastait avec l'agitation du rez-de-chaussée. Ici, tout semblait immobile, presque figé dans le temps. Des vêtements soigneusement pliés, des livres empilés sur une table basse, et sur le lit, un journal à moitié ouvert.
Clara s'approcha prudemment et le feuilleta. À l'intérieur, plusieurs pages étaient barrées, comme si Alma avait tenté d'effacer ses propres pensées. Mais certaines lignes restaient visibles :
« Ils m'ont trouvée. »
« Je ne peux plus fuir. »
« Ce n'est pas une coïncidence. »

Ces phrases répétées créaient un sentiment d'urgence et de paranoïa. Clara réalisa qu'Alma, bien avant sa mort, sentait que quelqu'un l'avait prise pour cible. Mais qui ? Et pourquoi ? Le journal ne mentionnait aucun nom, seulement des allusions vagues à une menace invisible.
Clara replia délicatement le carnet et sortit de la chambre. De retour dans le salon, elle croisa Vincent Delaunay, l'éditeur en chef qui avait fait signer Alma à ses débuts. Il discutait à voix basse avec un policier, mais son regard croisa brièvement celui de Clara. Il avait l'air tendu, agacé, comme si cette enquête perturbait quelque chose d'important pour lui.
Une autre personne à interroger, pensa Clara. Il y avait définitivement plus à creuser du côté de Vincent. Il avait tout à gagner de la mort d'Alma, avec les droits exclusifs de ses manuscrits inachevés. Et peut-être plus encore, si ce dernier livre contenait des secrets que personne ne devait découvrir.