Il fallait seulement qu'elle respire.

32 3 0
                                    

La lune recouvre la ville de sa lueur pâle et froide, une jeune fille aux cheveux noirs est assise sur le dossier d'un banc sous la lumière jaunâtre d'un lampadaire, les yeux fermés, elle ne pense à rien, elle ne veut plus penser à cet instant. Sa cigarette se consume lentement, la fumée passe dans sa gorge dans une douce brûlure. Elle frissonne parfois, habillée trop légèrement pour une nuit de novembre. Des pas résonnent dans l'obscurité, ceux saccadés d'un gros chien et ceux d'une personne inconnue. Sans ouvrir les yeux, la jeune fille sait qui vient de s’asseoir à ses côtés : peu de personnes fument  comme elle, des Lucky Strike mentholées.

« Hailey, si je te dis problème, à quoi tu pense ?
-Pourquoi cette question ?
-Tu m'intrigue. Alors, problème ?
-Folie.
-Folie ?
-Asile.
-Asile ?
-Folle.
-Folle ?
-Moi.
-Toi ?
-Morte. »

Lui est déstabilisé alors que son interlocutrice n'a toujours pas ouvert les yeux. Le silence est revenu ; lourd et pesant en cette nuit de novembre. Entre eux, c'est un lien invisible et fragile qui se tisse doucement, ils ne se connaissent que depuis quelques heures mais l'un intrigue l'autre et inversement. Lui est sa réalité à elle parce que sa démence la bouffe, elle est sa différence à lui parce qu'il est comme les autres. Il y a des alchimies qui se créent comme ça, sans que personne ne sache pourquoi.

Le grand beauceron du jeune homme reste couché au pieds de ce dernier, en compagnon fidèle, le dénommé Spike monte la garde sagement. Hailey ne bouge pas, elle ne veut pas. Ethan lui, laisse ses doigts jouer avec son bâton de nicotine, assis lui aussi sur le dossier de ce banc qui trône au même endroit depuis des dizaines d'années. Quelques mèches de ses cheveux noirs tombent devant ses yeux, créant un masque comme protecteur contre les émotions, mais il  ressent quand même ce sentiment de solitude et de malaise qui émane de sa voisine, c'est en partie pour ça qu'elle l'intrigue, qu'elle l'incite inconsciemment à s’intéresser à elle comme à personne d'autre. Tout en détaillant le visage livide de la brunette qui l'intrigue tant, l'adolescent se rend peu à peu compte de sa différence, pas seulement dans sa présence, sa voix brisée et rocailleuse mais aussi dans sa façon d'être.

Alors que le silence règne en maître dans cette scène, une mélodie que l'adolescent ne connaît que trop bien retentit : Bad Day de Daniel Powter, la jeune fille ne laisse pas sonner longtemps et décroche. Sa voix rocailleuse est empreinte d'une haine indescriptible envers son interlocuteur. Ethan écoute les quelques brides de conversation qu'il parvient à entendre. Elle déteste Judy, elle ne veux pas rentrer à la maison, tout est de la faute de Judy, Judy n'est plus sa mère, celle-ci l'a trahie.  
Et Hailey raccroche en lâchant une insanité, rageusement.

Elle croise les iris noires de son camarade. Inquisitrices. Ce soir elle ne lui dira rien. Ce soir il ne demandera aucune explications, elle se livrera quand elle sera prête. Il se lève, siffle son chien qui répond immédiatement et commence à partir. Il se stop après quelques pas et se retourne.

« Viens. »

Sans réfléchir, Hailey le suit, elle se moque d'où il peut l'emmener, de ce qu'il adviendra d'elle, elle lui fait confiance, sans savoir pourquoi.
Les rues sont sombres, à peine éclairées par les quelques lampadaires grésillants. On ne voit que deux ombres calmes qui marchent au milieu de la nuit vers un endroit que seul l'un des deux personnage connaît. Lorsque Ethan s'arrête enfin, c'est une maison des plus simple et une vieille Fastback 69 grise et noir qui dort dehors, devant le garage qui se laisse apercevoir derrière une haie de thuya désordonnée

La jeune fille suit celui qu'elle peut considérer comme un ami, entre dans la petite demeure et découvre que cette dernière est remplie de meubles de récup'. Le jeune homme laisse son hôte dans la pièce à vivre pour partir dans la cuisine en lançant sans beaucoup d’intérêt :

« Ouè, je sais, on dirait que j'vis comme un clochard, mais j'aime bien ma baraque comme elle est. Tu veux un café ?
- Nan ; merci. J'aime bien aussi ta déco', ça donne un p'tit style grunge. »

Tout en regardant attentivement l’environnement du propriétaire de la maison , Hailey se rend compte que cette conversation est la plus longue qu'elle ai eu jusque là avec une autre personne que sa mère. Changer d'air lui fait du bien, mais le bourdonnement des voix est toujours présent, il brouille toujours sa perception de ce qui l'entoure.

Tard dans la soirée la télé est allumée, elle passe des clips de musique et des pubs alors que deux ados somnolent sur le canapé défoncé qui trône en maître au milieux du séjour. Spike dors au pieds de son maître, fatigué par sa journée à courir dans les herbes folles du jardin. Les minutes s'égrainent, les heures passent, demain il y a un Contrôle en  Biologie, mais ca n'a pas d'importance, le monde peut bien tourner sans eux à ce moment, ils sont bien, libérés de leur malheurs pour une soirée au moins. Dans la tête de Hailey, les voix se sont finalement complètement tues, zappées par l'absence de pensés. Dans la tête de Ethan, plus rien ne tourne, il dors paisiblement, d'un sommeil sans rêve.

Il paraît que je suis folle.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant