Chapitre 1: Nonor, Totor et des canons

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Le vent soufflait de plus en plus fort sur la plaine de Wurden, alors que les deux armées se faisaient face. D'un côté, l'armée du comte Rolen van Rödstrick, qui avait fière allure sur son destrier, arborait une moustache soigneusement taillée. Sa cavalerie, fer de lance de ses forces, se tenait prête à charger, tandis que l'infanterie avançait déjà pour engager l'ennemi, suivie par quelques unités d'arbalétriers. En face, sur une petite colline, se tenait la comtesse Elsaria van Oxen. Jeune, mais réputée pour son génie tactique, elle observait le champ de bataille avec une sérénité froide. Sa troupe, bien que moins nombreuse, comptait sur la puissance de son artillerie, quelques mages aguerris, et surtout sur le renfort du comte Charles van Riegen, caché derrière une autre colline à l'est, prêt à surprendre l'ennemi sur le flanc.

« Comme d'habitude, la cavalerie ennemie va tenter d'encercler notre infanterie, dirigée par van Rödstrick », fit remarquer l'un des conseillers à ses côtés. « Une erreur stupide », rétorqua un autre avant que des murmures de moquerie n'éclatent devant l'incompétence de van Rödstrick.

Elsaria, silencieuse, leva une main élégante. Un porteur de cor, attentif à son geste, sonna deux fois. Instantanément, l'artillerie entra en action, fauchant des dizaines de cavaliers. Au même moment, les drapeaux du comte van Riegen apparurent à l'est, provoquant la panique dans les rangs adverses. Bien que la défaite de l'armée du comte van Rödstrick paraissait inévitable, ses hommes continuaient à se battre avec une ténacité admirable. La comtesse, satisfaite de cette victoire annoncée, savourait le spectacle de la débâcle ennemie quand son attention fut détournée par une scène étrange. Deux soldats s'éloignaient discrètement du champ de bataille, emportant avec eux un canon. D'abord, Elsaria pensa à des déserteurs, mais elle les vit s'arrêter plus loin et tirer... sur un bois situé à la périphérie du champ de bataille.

— Que font ces deux incompétents ?! s'emporta Elsaria, le visage déjà rougi par la colère.

Elle fit un signe brusque, désignant quelques conseillers pour l'accompagner et délégua le commandement à un autre. En un instant, la petite troupe se dirigea au galop vers les deux soldats et leur canon, qui semblaient fort étonnés de voir tant de monde s'approcher d'eux.

— Que manigancez-vous, espèces de gueux ?! tonna-t-elle, sa voix aussi tranchante que la lame d'une épée. Le plus riquiqui des deux soldats, dénué de cheveux mais arborant une barbiche soignée, s'avança avec une démarche hésitante.

— Nonor de Persucaille à votre humble service. Et voici mon inséparable comparse, Totor de Persucaille, annonça-t-il en indiquant son camarade, un homme plus imposant et légèrement potelé qui affichait un sourire radieux.

— Et vous êtes...? interrogea Totor d'un ton jovial.

Un conseiller s'insurgea immédiatement, scandalisé :

— Manifestez un tant soit peu de considération envers la comtesse Elsaria van Oxen...

Cependant, Elsaria esquissa un signe autoritaire de la main, leur imposant le silence avec un regard flamboyant. Nonor et Totor échangèrent un regard déconcerté.

— Mince, Totor, c'est elle la grande patronne ! s'écria Nonor.

— Alors, que devons-nous faire, nous mettre au garde-à-vous ? répliqua Totor, légèrement incertain.

— Oh non, Totor, ça c'est pour le capitaine. Ici, il faut faire une courbette.

— Ah oui, c'est juste !

Et sous les yeux médusés de la comtesse et de ses conseillers, Nonor s'inclina maladroitement, tandis que Totor exécutait une roulade maladroite.

— Mais non, Totor, une courbette, pas une galipette ! s'agaça Nonor.

— Ah oui, pardon !

La colère d'Elsaria atteignait des sommets. Ses joues prirent une teinte cramoisie.

— Alors, maintenant que les civilités sont échangées, pourriez-vous m'expliquer pourquoi vous êtes ici, séparés de votre groupe, et pourquoi vous attaquez des arbres ?

Nonor, avec sa sérénité habituelle, répondit d'une voix presque orgueilleuse :

— Eh bien, madame la comtesse, pendant notre affrontement avec les cavaliers opposants, j'ai remarqué un mouvement suspect parmi les arbres. J'ai supposé qu'il pourrait s'agir d'ennemis cachés. Sans hésiter, j'ai informé Totor de la situation et nous avons ouvert le feu.

Elsaria fronça les sourcils, incrédule.

— Donc en résumé, vous avez abandonné votre unité en plein combat, transgressant vos ordres directs pour aller tirer sur des arbres à l'écart du champ de bataille parce que vous pensiez avoir vu des ennemis... N'avez-vous jamais envisagé que cela aurait pu être simplement... une rafale de vent ?

— Tout à fait, madame, confirma Nonor avec aplomb. Parce que, imaginez, s'il y avait vraiment des ennemis là-bas, vous ne les auriez pas vus. Paf, ils vous attrapent, paf, vous voilà prisonnière. Mais là, non, on est là avec Totor, prêts à vous sauver. Paf ! Nonor et Totor, héros de la guerre, et c'est la fête au village ! Vous voyez le tableau ? Enfin, plus une foire à la saucisse qu'un bal masqué, mais vous avez compris l'idée. Alors, merci qui ?

— Jacquie et Michel ! lança Totor d'un air triomphant.

— Non, Totor, voyons, répliqua Nonor en secouant la tête.

EIsaria, indignée par l'absurdité de la situation, éclata :

— Je ne sais pas ce qui est le plus ridicule : votre raisonnement ou votre choix !

Sa tirade persistait, ses yeux enflammés fixés sur les canons fraîchement polis que ces deux bouffons avaient traînés avec eux. Des canons qu'elle avait elle-même dessiné les plans dans son œuvre renommée, Essai sur l'artillerie, un document de 195 pages détaillant les divers engins de guerre employés à travers l'empire, sans omettre une annexe sur les inventions naines.

— Bon, madame, pas la peine de vous énerver, reprit Nonor, impassible. La prochaine fois, on vous laissera vous faire capturer. Peut-être qu'un grand héros viendra vous sauver, qui sait ? Mais bon, ce ne sera sûrement pas nous. Un instant, l'image d'un chevalier vaillant venant la sauver comme dans les récits héroïques traversa l'esprit d'Elsaria. Mais sa colère contre ces deux hurluberlus reprit aussitôt le dessus, effaçant cette pensée fugace. — Disparaissez de mon comté et ne revenez plus jamais ! rugit-elle. — Eh bien, dans ce cas, adieu, madame ! répondit Nonor en tournant les talons, suivi de près par Totor. Alors qu'ils s'éloignaient, Totor chuchota :

— Nonor, la prochaine fois, on pourrait peut-être éviter de tirer sur les arbres, non ? Moi, je les aime bien, les arbres...

— Ta gueule, Totor, répondit Nonor avec un soupir

Nonor &totor StoryOù les histoires vivent. Découvrez maintenant