APORÉTIQUE (Tome 2)

1|Test 1 : pov Sam

"Bosser deux fois plus..." pfff ! Moi, je n'suis pas dans cette merde. J'ai très vite compris, dans la douleur, que personne n'allait me sauver. Putain, quand je pensais que... Bref.

Me voilà derrière le volant d'une BMW, en train de conduire comme un connard, me dirigeant vers une entreprise remplie de voleurs en costard. La vie, c'est une succession de choix. Eh bien, j'en ai fait.

À vrai dire, 20 millions de dollars, c'est le coût de mon silence. 20 millions de dollars, c'est le prix de mon service. Je ne pensais pas en arriver là, mais l'opportunité a frappée à ma porte. Alors, je l'ai saisie. Il faut dire que l'offre de monsieur Robert était alléchante. Il m'a vu comme un atout pour son entreprise, Robert and Co. Maintenant que j'ai tué le petit étudiant en moi, je tâcherai de ne pas décevoir.

New York, cette ville que je ne voyais qu'à la télé. Maintenant, j'emprunte h24 à toute vitesse le Franklin D. Roosevelt Drive, une autoroute qui longe la rive Est de Manhattan. Depuis cette route, on peut voir le Brooklyn Bridge et les gratte-ciels pas loin. Ce chemin mène directement à Robert and Co.

Il faudrait peut-être que je respecte la limitation de vitesse un jour... Mais ce n'est pas de ma faute. L'effet d'appuyer sur la pédale et de se sentir propulsé est tellement jouissif. Monsieur Robert m'a prévenu : la majorité de mon taf sera sur le terrain. Askip, avec ma belle gueule, je ferai rage. Pour l'instant, il ne me donne pas trop de détails, et franchement, j'en ai rien à faire. Tant qu'il me paye bien.

J'ajuste ma chemise noire dans mon pantalon de tailleur et ferme la porte de la voiture. Il me faut un dernier débriefing pour ma mission d'aujourd'hui.

Les yeux fixés droit devant, je traverse le hall du building sans calculer personne et fonce vers l'ascenseur. Flemme de dire bonjour. Le dernier étage m'attend. C'est pas étonnant, c'est tout à fait symbolique que le patron soit tout en haut.

Son bureau est grand et sombre. Je suis sûr qu'il fait deux fois la taille de ma chambre. Le noir domine la pièce. Les murs, les objets, l'ambiance. On dit que c'est la couleur qui inspire le pouvoir. Serait-ce ça, le rêve de tout homme ?

— Monsieur !
— Sam ! Comment vas-tu, cher ami ?

"Ami". Il n'y a pas d'ami dans le business. Soit tu assures et tu ne balances pas, soit tu dégages. Pire encore, tu peux te faire buter.

— Bien, monsieur, et vous ?
— Parfaitement bien. Tu vois cette mallette sur la table ? Tu trouveras tout ce qu'il te faut pour te faufiler à la soirée d'inauguration de ce soir. Sois un passionné d'art et, avant tout, un bon séducteur !

Je me dirige vers le centre de la pièce, où trône une longue table capable d'accueillir une vingtaine de collaborateurs lors d'une réunion.

Mes souliers claquent sur le parquet tandis que je retourne à ma voiture. Au détour d'une ruelle, j'aperçois une vieille dame, assise par terre dans le froid. Sa condition me touche d'emblée. Je n'peux pas l'ignorer. C'est un être humain, bordel. C'est injuste de supporter ce froid, et pire encore : nous, passants, on fait comme si de rien n'était. Nos regards se croisent, et je lui dis bonjour. Elle me répond avec un grand sourire qui me fait encore plus plaisir. J'aime les gens qui nous donnent le sourire, c'est tellement rare. Plus je monte les échelons de la vie, plus je croise la concurrence, pas des sourires. Je baisse la tête et trace mon chemin, plongé dans ces réflexions. Dix pas plus loin, je me souviens avoir de la monnaie dans ma poche. Je sors 50 dollars, fais demi-tour et les lui tends.

L'air ravie, elle les prend et attrape ma main au passage pour y déposer un baiser. Ce geste montre toute la grandeur de cette dame, mais me laisse aussi un peu triste. Je sais que ce n'est pas ça qui va la sauver.