"Une affaire que j'aurais du refuser "

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Charles

J'étais assis à mon bureau lorsque l'on m'appela pour cette affaire. Avec le recul, je me dis que je n'aurais pas dû décrocher le téléphone mais sur le moment la sonnerie stridente de celui-ci me dérangeait et ma gueule de bois m'a dicté ma conduite dans le seul but que cet engin de malheur se taise et que je puisse enfin être tranquille. Alors, j'ai fait ce que je n'aurais pas dû faire, un geste que j'allais rapidement regretter : j'ai décroché.

- Inspector Charles Evans de Scotland Yard, que puis-je pour vous ?

Ma voix était horriblement pâteuse et ma langue semblait peser une tonne. Heureusement pour moi que le superintendant n'était pas au bureau ce matin-là.

- Vous travaillez bien à Scotland Yard ? m'avait dit une voix masculine à l'autre bout du fil.

- Oui, Monsieur, c'est exactement ce que je viens de vous dire.

- Je préfère m'en assurer car voyez-vous, je suis méfiant, m'avait répondu mon interlocuteur sur la défensive.

- Puis-je savoir à qui j'ai l'honneur de parler, Monsieur ? avais-je finalement demandé.

- Jack O'Sullivan m'avait-il répondu sur un ton réticent

- D'accord, Monsieur O'Sullivan, pourriez-vous me donner la raison de votre appel ?

- Oui, oui, c'est vrai, j'appelais pour vous signaler un cambriolage à mon domicile.

- Oh, je vois, c'est plutôt urgent dans ce cas... le cambrioleur est-il toujours chez vous ?

- Oui, il est là. J'entends ses pas à l'étage, avait chuchoté O'Sullivan.

- Pourriez-vous me donner votre adresse, pour que je puisse vous envoyer une unité d'intervention.

- C'est au 13 Watergate Street, faites vite. Avait-il soufflé

- Nous arrivons au plus vite, Monsieur.

Sur ce, je m'étais levé et étais prêt à annoncer une intervention à mon équipe avant de me rappeler que j'étais le seul de mon service à ne pas être en congé de Nouvel An et que donc c'est moi qui devrais aller aider ce brave homme.

- Pff, quelle poisse.

Je fis donc la seule chose que je pouvais faire ; prendre mon manteau, l'enfiler et aller au 13 Watergate Street.

Habituellement, ce trajet m'aurait pris une vingtaine de minutes en voiture mais ce matin-là, il ne m'en prit que 10. Les rues étaient désertes à cette heure matinale... Les habitants de Londres dormaient encore et j'aurais bien voulu faire pareil.

La Watergate Street était une ruelle mal éclairée. Les maisons étaient étroites et les bâtiments semblaient sur le point de s'écrouler. Une seule pensée me vint à l'esprit : faire demi-tour, remonter dans ma voiture et rentrer, somnoler dans mon bureau au plus vite. Malheureusement, dans la vie, il y a les choses qu'on veut faire et celles qu'on doit faire. Dans cette situation précise, je dois me rendre au 13 Watergate Street et m'occuper de cette affaire au plus vite.

Je toquais trois fois à la porte et je craignis qu'elle ne s'écroule sous le choc mais elle tint le coup. Personne ne venait alors, je toquais de nouveau et un grand fracas et des aboiements se firent entendre. Je détestais les chiens et pensais de plus en plus à remonter dans ma voiture mais au moment où je m'apprêtais à tourner les talons, lorsque la porte s'ouvrit et qu'un énorme molosse me sauta dessus. Son propriétaire le rappela rapidement :

- ⁣ Attaque ! Attaque, reviens ici !

Un homme qui donnait un tel nom à son chien ne présageait rien de bon, rien de bon du tout. Je tournais la tête vers la porte et aperçus un homme qui devait avoir une trentaine d'année mais qui en paraissait facilement dix de plus à cause de rides précoces et de ses cheveux blanchis par l'angoisse. C'étaient les symptômes post-traumatiques des hommes revenus de la guerre, ça et les crises de folies. Dieu seul sait les horreurs qu'ils avaient vécues et vues. Certains de mes collègues avaient déjà eu affaire à ce genre d'hommes et ils disaient que ceux-ci n'avaient plus toute leur tête. Je voyais déjà que cet homme faisait partie de ceux qui n'étaient pas revenus indemnes de la guerre, enfin, je veux dire encore moins indemnes que tous les autres. Je décidais de faire un pas vers lui et de me présenter.

- Monsieur O'Sullivan ? Je suis Charles Evans... de Scotland Yard... Vous avez appelé il y a peu pour un cambriolage.

Le molosse qui lui servait de chien de garde finit par revenir à ses pieds et l'homme me dévisagea longtemps avant de me faire signe d'approcher tout en soufflant d'agacement... Cet homme commençait à me taper sur le système mais je fis mine de rien et m'approchais poliment. Après tout, ça aurait pu être pire, il aurait pu faire partie de ces gens qui se croient mieux que les autres ou qui croient mieux savoir tout mieux que tout le monde.

- C'est donc vous l'incompétent qu'on m'a envoyé de mon temps à Scotland Yard, les inspectors étaient bien plus rapides. Pff, on sent bien que les temps ont changé...

Rectification : la situation ne pouvait clairement pas être pire avec cet affreux bonhomme. Je ravalais mon agacement et décidais de ne rien répondre, étant donné que je tenais quand même un minimum à mon boulot. L'homme, lui, continuait sur sa lancée comme je ne disais rien.

- Du temps où j'étais moi-même superintendant, en moins de dix minutes une équipe était sur le lieu du crime et...

- Sauf votre respect, Monsieur, nous sommes le jour de l'an et...

- Jour de l'an ou pas, on était toujours là en équipe, où est donc votre équipe ?

- C'est ce que j'essayais de vous dire, d'ailleurs, vous le sauriez déjà si vous ne m'aviez pas interrompu, mais vu que c'est le jour de l'an, tout le monde est en congé sauf moi, donc si mon temps d'arrivée ne vous convient pas alors, vous pouvez toujours attendre demain pour qu'on vous envoie une équipe.

Ma petite tirade lui cloua le bec, il ne l'avait pas vu venir ce coup-là. Intérieurement, je priais pour qu'il me dise qu'il attendait demain, que je pouvais rentrer, mais malheureusement pour moi, il me fit entrer.

Le seul mot que je peux utiliser pour vous décrire l'état des lieux est saccagé. Les rayures présentes sur le parquet semblaient indiquer que les meubles avaient été déplacés, les rideaux étaient déchirés, les coussins éventrés et les bibelots qui d'origine devaient se trouver sur le manteau de la cheminée étaient fracassés par terre. Je voyais des escaliers et je me doutais que leur état ne devait sûrement pas être mieux.

Je me souvins que le cambrioleur était encore sur les lieux, donc j'ai saisi mon arme de service lorsqu'un raclement de gorge me fit sursauter. Je me tournais vers Jack avec agacement.

- Il est parti avant votre arrivée. Me dit O'Sullivan en levant les yeux au ciel.

- Vous auriez pu le dire.

Cet homme avait un don pour agacer les gens autour de lui, je vous assure que c'est assez incroyable comme talent. Je soufflai un bon coup avant de lui adresser la parole. Coller mon poing dans le nez d'un client ne serait assurément pas le meilleur début d'année possible.

- Pourriez-vous me dire quand le cambrioleur est parti ? Et à quoi ressemblait-il ? demandai-je en sortant mon calepin.

- Il est parti dix minutes avant votre arrivée et il était habillé uniquement de noir. Dit-il sans une hésitation.

- Humm, je vois.

Faux, je ne voyais absolument pas, j'avais juste envie de partir au plus vite.

Je détestais ce genre d'enquête autant que ce type de client, mais j'avais une bonne solution pour ce type de cas.

- Écoutez, je connais une personne très douée pour ce genre d'affaire, je vais vous la chercher.

Il eut l'air surpris par ce que je disais, mais face à son absence de réaction, je filai dans ma voiture et partis sur les chapeaux de roues pour aller chercher la seule personne qui voudrait bien me.

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