Dans la chambre sombre et morne de l'orphelinat Jazira, les ombres dansaient sur les murs décolorés, déchiquetés par le temps et l'abandon. Les teintes de bleu et de gris, jadis empreintes d'une certaine fraîcheur, avaient viré au gris de l'oubli, comme si le mur lui-même avait décidé de s'éteindre sous le poids des années. Les poutres de bois, noircies par l'humidité, tenaient à peine, et leurs craquements occasionnels ajoutaient un écho lugubre au silence pesant. Chaque recoin de la chambre semblait empreint d'une tristesse morose, comme si l'air même avait perdu sa vivacité, se contentant de se mouvoir mollement autour des quelques objets présents.
Les rideaux, lourds et épais, restaient constamment tirés, absorbant la lumière extérieure avec une avarice implacable. Parfois, un éclat de lumière blafarde se frayait un chemin à travers les fentes, mais il ne faisait qu'ajouter à la mélancolie ambiante. L'air stagnait, chargé d'une humidité persistante, qui imprégnait les draps et les vêtements des jeunes filles d'une senteur d'ancienne désolation. Dans cette pénombre, les moindres détails de la chambre semblaient se fondre les uns dans les autres, ne laissant apparaître que des silhouettes indistinctes, noyées dans l'obscurité.
Le mobilier se réduisait à son strict minimum : deux lits jumeaux en bois, usés et décolorés par le temps, et une petite table en bois sombre entre eux. La table, au bois défraîchi et aux coins usés, était presque le seul mobilier de la pièce, sauf pour un vieux fauteuil à bascule qui avait vu des jours meilleurs. La surface de la table, marquée par des cicatrices invisibles aux yeux des autres, avait rarement vu plus que des assiettes de porcelaine brisée et des restes de repas froids. Elle était un témoin silencieux des repas partagés, mais jamais une trace de curiosité intellectuelle n'avait eu l'occasion de la marquer ; aucun livre n'y reposait jamais, aucun mot n'y était gravé. La table, ainsi que les lits, semblaient être les vestiges d'une vie abandonnée, survivant à peine dans la pénombre de leur existence partagée.
Les deux filles, Jazira et Jasmine, se tenaient à l'écart des affres de leur quotidien austère dans ce refuge misérable. Elles se retrouvaient chaque soir, après le souper, dans cette chambre pour partager un songe. Le repas était toujours frugal, un mélange d'ingrédients insipides qui, dans leur monotonie, finissaient par se confondre dans un goût indistinct. Une fois les assiettes essuyées, elles se retrouvaient pour se réfugier dans la chaleur fragile de leurs couvertures, cherchant à échapper à la froideur du monde.
Ce soir-là, Jazira s'était glissée dans son lit froid avec une précipitation prudente, comme si la fraîcheur des draps pouvait être adoucie par la rapidité de son geste. Son lit, toujours aussi déplorablement inconfortable, était devenu un lieu de refuge et de consolation dans cette vie dénuée de chaleur. Les draps bleus décolorés semblaient se resserrer autour d'elle, essayant vainement d'emprisonner un peu de la chaleur humaine dont elle avait désespérément besoin.
Jasmine, déjà installée dans son propre lit, regardait le plafond d'un regard pensif, ses yeux traçant des chemins invisibles dans l'obscurité. Le silence régnait entre elles, interrompu seulement par le bruit des respirations et les légers craquements de la vieille bâtisse. Ce silence, bien que familier, était parfois lourd, un poids difficile à porter lorsqu'on avait des pensées tumultueuses et des rêves brisés.
— Jazira, murmura Jasmine après un long moment de silence, comment est l'extérieur ? Tu sais, quand on est dehors, loin d'ici, comment c'est ?
Jazira leva légèrement la tête, son regard cherchant à percer l'obscurité et à se rappeler les fragments d'images qu'elle avait aperçues lors de ses rares sorties. Elle se remémorait les bribes de lumière et de couleur qui contrastaient avec la monotonie de leur quotidien. Les images de la ville et des parcs semblaient s'entrelacer dans un mélange confus de couleurs et de sons.
— Je me souviens d'une lumière vive, d'un éclat qui semble presque irréel ici. Les rues sont grouillantes de gens, mais ils vont si vite qu'on ne les voit pas vraiment. Ils ont des visages qui se fondent les uns dans les autres, comme des fantômes passagers. Il y a des arbres, des parcs... des endroits où l'on peut s'échapper. Mais, tu sais, tout cela me semble tellement éloigné. C'est comme si je voyais un autre monde à travers une fenêtre sale, incapable de toucher ce qui se trouve de l'autre côté.
Jasmine, laissa un soupir léger s'échapper de ses lèvres. Elle tourna son regard vers le plafond, ses yeux scrutant les fissures dans la pénombre.
— Tu veux bien continuer ?
— Eh bien... Il y a des femmes et des hommes en chapeau , des enfants, des voitures et des bicyclettes... Il y a des boutiques de toutes sortes ; de bonbons , de chaussures, de robes, de costumes. Il y a de la musique, des klaxons , des vendeurs de journaux qui chantent. Il y a des tentes de cirque, des arrêts de bus, des maisonnettes avec jardins et d'autres avec piscine ! Il y a des prairies et des insectes, et des criquets la nuit .
— je t'en vis ! j'aurais aimé voir toutes ces belles choses !
Elle sursauta de son lit pour l'affronter , comme elle fait souvent ; pour le plaisir de la contredire .
—Mais il n'y a pas que de belles choses ! Ne sois pas si naïve pour croire que la vie est rose de l'autre cote, tu ne sais pas de quoi tu parles, toi ! De toute façon, tu ne le sauras jamais avec tes taches de rousseur !
Elle s'avait qu'elle ne devait pas prendre ses paroles trop au sérieux, car quand elle est contrariée, elle met les pieds dans le plat. Elle avait les
larmes aux yeux, mais elle se contenait, en écrasant son visage plein de taches - ce n'étaient pas des taches de rousseur, mais des pétéchies - dans son coussin.Un long silence régna .
— Et... est-ce que tu aurais aimé connaître ta famille ? demanda-t-elle finalement, sa voix frémissante et vulnérable.
— J'aurais surtout aimé ne pas la connaitre.
— Mais... tu m'as dit que tu vivais avec ton oncle ? à l'auberge, en Floride... n'est-ce pas ? Tu ne les a jamais connues .. Comment peux-tu dire une chose pareil ?
— Mais avant ça, j'avais une autre vie. Une vie , avec deux parents...
Elle sera ses dents, en prononçant " parents " .
Jasmine était outrée, mais il valait mieux ne pas précipiter les choses, sinon elle raterait l'occasion qu'elle lui livre l'histoire de son autre vie .
Elle attendait avec impatiente qu'elle débute , mais rien n'arriva.
— Demain, je vais relancer la discussion avec le directeur par rapport aux livres, tu viens avec moi ?
Mince.
—Bien.
Dans la chambre sombre de l'orphelinat, la nuit s'étendait.
La nuit de Jasmine était fichue ! Trop de choses bondissaient dans sa tête et sa poitrine ! elle essayait d'échafauder un plan — intelligent -Mais elle s'est finalement abandonnée dans les bras de morphes.
Elle s'était réveillée bien plus tard que Jaizira, et quand elle s'est levée , elle trouva son bracelet de cheville au coquillage par terre. Elle le ramassa et le porta - aujourd'hui c'est son tour.
Elle prit son crayon ronge, et griffonna maladroitement ses quelques phases dans son journal-
" Je me demande souvent si cela aurait apporté quelque chose de différent dans ma vie. Peut-être aurais-je trouvé des gens qui m'auraient aimé, ou peut-être aurais-je découvert des douleurs encore plus profondes. "Elle se lava le visage, l'essuya et se donna des claques sur les jours pour se ressaisir. Elle enfila son pantalon bleu-vert moulant, son gilet noir et attacha ses cheveux en queue de cheval . Lorsqu'elle s'apprêtait à traverser le seuil de la bâtisse , elle revint sur ses pas, dénicha son cahier orange de sous les planches détaché du sol et griffonna ; une dernière fois ;
" Même si nous ne savons pas ce que l'avenir nous réserve, et même si tout semble si éloigné, nous avons encore l'un l'autre. Peut-être que c'est ce qui compte vraiment, ici et maintenant. "

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Oeil
Diversos" Je me souviens d'une lumière vive, d'un éclat qui semble presque irréel ici.. "