Dans ce stade, sur la piste ; Jem se sent à sa place... Il regarde une dernière fois la photo qu'il a attrapée en coup de vent dans sa chambre. C'était sa première course professionnelle, il était arrivé second, contre toute attente. Il la plie et la range dans sa chasuble alors que la voix qui résonne dans les enceintes annonce le départ prochain. Jem ne pense qu'à une chose... la victoire.
Il s'agenouille et place ses pieds dans les starters. L'arbitre de compétition lève le bras s'apprêtant à tirer. En se plaçant, Jem pratique ce rituel auquel il s'habitue : ajuster ses chaussettes de contention, l'une puis l'autre... Une habitude prise depuis sa première victoire ; les sportifs sont parfois superstitieux.
***
Ce souvenir le hante, tel un film auquel il se raccroche de peur qu'il ne s'efface de sa mémoire...
Jeremy reste là, seul dans sa chambre assis à son bureau le visage entre les mains. Dans sa tête, c'est un trou noir, un bourdonnement incessant, à tel point qu'il en oublie la douleur dans sa jambe. Elle fait presque partie de lui depuis le temps.
Face à lui, sur le plan de travail : un trophée. Les étagères de sa chambre en sont remplies. Il ne reste qu'une place vide parmi les objets clinquants, elle attendait qu'on y dépose ce qui pour Jem aurait été la récompense ultime : une médaille d'or....
Mais voilà, apprendre en peu de temps que sa candidature aux Jeux olympiques a été validée et deux semaines plus tard découvrir que l'on est atteint d'un sarcome avancé dans le mollet ; c'est comme si l'univers lui avait fait une mauvaise blague.
Il saisit la coupe sur le bureau et l'envoie dans l'étagère, faisant valdinguer au passage les prix comme une boule de bowling dans un jeu de quilles. Puis il enfonce encore plus son visage dans ses bras et se met à hurler en serrant les dents dans un coussin...
De l'autre côté de la porte, sa mère écoute attentivement et pleure avec lui. Elle sait qu'elle doit être forte, ne pas entrer, laisser son fils accepter l'idée aussi insuportable soit-elle... Elle sera là quand il aura besoin d'en parler.
Cela fait déjà trois jours que Jem est enfermé dans sa chambre, de temps en temps, il pousse le rideau pour observer le monde qui continue à tourner sans lui. Sur sa table de chevet, un plateau repas est disposé. Sa mère a profité qu'il soit tombé d'épuisement pour lui déposer.
Après avoir prié des heures durant, il comprend que rien ne changera ce fait. Il n'y aura pas de miracle inattendu, juste la réalité telle quelle, sans compromis.
Il ôte enfin son Miki pour contempler sa tête chauve dans le miroir...
À côté du sandwich au thon, une petite pile de lettres... Quelques amis ont pensé à lui... Mais parmi elles, il y a un mot tout particulier signé Nadia... Les mots qui sont dessus sont personnels, ils ne sont destinés qu'à Jem et à lui seul, mais ils lui permettent à ce moment-là de dépasser la colère et d'entrer dans le début de l'acceptation. Le jeune homme sèche ses larmes, il se rassoit à son bureau et masse sa jambe douloureuse.
Il consulte son KomPad naviguant entre les photos de sa vie ; il l'aime cette vie. Il saisit chaque jour la chance qu'il a toujours eue : une famille aimante, des amis proches, un amour sincère qui l'attend dehors.
Il sait très bien qu'en bas dans le salon, tout le monde passe régulièrement prendre de ses nouvelles. À force d'entendre la sonnette, il a l'impression que le rez-de-chaussée est rempli de gens qui n'attendent que lui.
Il va devoir affronter les regards, mais ce ne sont pas leurs pensées qu'il redoute tant, ce sont les siennes. Assis à son bureau, il pousse le tas de feuilles ; compte rendu sommaire de ce qu'il va se passer quand il sera admis à l'hôpital. Sa chambre est prête et on lui conseille de ne pas trop attendre...
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-(kintsugi)-
SpiritualLe kintsugi [金継ぎ] est un art traditionnel japonais qui consiste à réparer des objets cassés en mettant en valeur leurs fissures avec de la poudre d'or, d'argent ou de platine. Plutôt que de masquer les cicatrices, le kintsugi les sublime, transforma...